Communications

Comment la Suisse peut-elle accorder l’entraide pénale à une autorité étrangère qui ne dispose pas (ou plus) de la compétence procédurale pour poursuivre l’infraction ?

La règle


La Suisse n’accorde sa coopération en matière pénale que pour la répression des délits dont la poursuite entre dans la compétence de l’Etat requérant, d’une part, et de l’autorité de l’Etat requérant, qui présente la demande d’autre part. Cette règle va de soi. La coopération est inutile s’il n’existe pas de facteur de rattachement entre le délit, d’une part, et la compétence répressive de l’Etat requérant, d’autre part. Il est également inutile de fournir des renseignements et des moyens de preuve à une autorité qui ne dispose pas de la compétence, procédurale ou matérielle, pour poursuivre les délits à raison desquels la coopération de la Suisse est demandée. Dans un cas comme dans l’autre, les renseignements, informations et moyens de preuve transmis par la Suisse ne serviront à rien.


Le tempérament à la règle


S’il est (encore) relativement simple de vérifier la compétence répressive de l’Etat requérant, au regard des facteurs traditionnels de rattachement, il est beaucoup plus difficile pour l’autorité suisse d’examiner l’application des règles du droit interne qui déterminent la compétence des autorités de poursuite pénale, tant du point de vue matériel que procédural. Cela implique d’établir quelles sont les normes du droit étranger (de fond ou de procédure) qui s’appliquent au cas d’espèce, et de quelle manière ces normes sont comprises et appliquées, selon la jurisprudence et la doctrine étrangères.


Le risque d’erreur étant trop important, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’entraide pénale internationale, l’autorité suisse (qu’il s’agisse de l’Office fédéral de la justice, de l’autorité d’exécution de la demande ou du juge) n’a pas à se préoccuper de savoir si, dans l’Etat requérant, l’autorité qui demande l’entraide est compétente pour conduire la poursuite pénale, que ce soit d’un point de vue matériel ou procédural (ATF 133 IV 40; 122 II 134). De même, il n’y pas lieu de résoudre un conflit de compétence entre les autorités de l’Etat requérant.


Ces réserves n’ont plus lieu d’être, lorsque la compétence de l’autorité étrangère fait clairement défaut (ATF 133 IV 40; 122 II 134).


L’oubli du retour à la règle


On constate ces derniers temps une tendance à ne pas vouloir en revenir à la règle et à s’en tenir à son tempérament, parfois contre les faits.


Dans les suites des affaires de corruption qui ont défrayé la chronique au Brésil, en lien avec l’affaire Petrobras, les autorités brésiliennes ont adressé des dizaines de demandes d’entraide à la Suisse. Des comptes bancaires ont été bloqués, pour des montants très importants.


Tout s’est compliqué avec l’évolution de la situation au Brésil. Des jugements ont été rendus par les autorités supérieures, selon lesquels le Ministère public de l’Etat fédéral du Paraná n’était pas compétent, à raison du lieu et de la matière, pour poursuivre des faits liés aux affaires dites «Lava Jato».


Malgré cela (et d’une certaine manière, contre l’évidence), les autorités suisses continuent d’accorder l’entraide au Ministère public du Paraná, aussi longtemps que cette autorité ne retirera pas formellement les demandes d’entraide.


Cette pratique ne tient pas compte du fait que la compétence de l’autorité fait clairement défaut, sur la base de jugements entrés en force dans l’Etat requérant.


On aurait au moins pu attendre du Tribunal pénal fédéral, saisi de plusieurs de ces cas, qu’il invite l’Office fédéral de la justice à s’adresser aux autorités brésiliennes pour tirer les choses au clair. Plutôt que de faire cela, le Tribunal pénal fédéral s’obstine à considérer que dès lors que le Ministère public du Paraná était compétent pour agir au moment du dépôt de la demande (cf. par exemple, l’arrêt RR.2020.229 du 1er février 2021, consid. 6.3 in fine), on peut continuer à lui accorder l’entraide. Qu’il ait été entretemps dessaisi n’y change rien. Vraiment ?

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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