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La clause de prohibition de faire concurrence – Quand cesse-t-elle ?

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Un arrêt récent du Tribunal fédéral est l’occasion de revenir sur la clause de prohibition de faire concurrence dans un contrat de travail et les cas dans lesquels celle-ci tombe (TF 4A_109/2021).


Les principes en matière de prohibition de faire concurrence dans un contrat de travail sont posés par les articles 340 et suivant du Code des Obligations (CO).


En vertu de l’article 340 CO, « le travailleur qui a l’exercice des droits civils peut s’engager par écrit envers l’employeur à s’abstenir après la fin du contrat de lui faire concurrence de quelque manière que ce soit, notamment d’exploiter pour son propre compte une entreprise concurrente, d’y travailler ou de s’y intéresser.


La prohibition de faire concurrence n’est valable que si les rapports de travail per­mettent au travailleur d’avoir connaissance de la clientèle ou de secrets de fabrication ou d’affaires de l’employeur et si l’utilisa­tion de ces renseignements est de na­ture à causer à l’employeur un préjudice sensible ».


En vertu de l’article 340a alinéa 1 CO, « la prohibition doit être limitée convenablement quant au lieu, au temps et au genre d’affaires, de façon à ne pas compromettre l’avenir économique du travailleur contrairement à l’équité ; elle ne peut excéder trois ans qu’en cas de circonstances particulières ».


Le juge peut également réduire une prohibition de faire concurrence qu’il jugerait excessive aussi bien quant à la durée que quant au rayon géographique ou au genre d’affaires (article 340a alinéa 2 CO).


La prohibition de faire concurrence cesse donc de déployer ses effets (ou tombe) par l’écoulement du temps, soit lorsque sa durée (qui est au maximum de 3 ans après la fin des rapports de travail et qui peut être réduite par le juge) est échue.


La prohibition de faire concurrence cesse également dans deux situations moins connues des employeurs et des employés.


En effet, selon l’article 340c alinéa 2 CO, « la prohibition cesse également si l’employeur résilie le contrat sans que le travailleur lui ait donné un motif justifié ou si le travailleur résilie le contrat pour un motif justifié imputable à l’employeur ».


En d’autres termes, la clause de prohibition de faire concurrence tombe si c’est l’employeur qui résilie le contrat de travail et que cette résiliation ne repose pas sur un motif justifié. Elle tombe également si c’est l’employé qui résilie le contrat de travail pour un motif justifié imputable à l’employeur.


Dans l’arrêt susmentionné, le Tribunal fédéral rappelle que « est considéré comme motif justifié au sens de l’art. 340c al. 2 CO tout événement imputable à l’autre partie qui, considéré raisonnablement, peut donner lieu à une résiliation importante. Il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une véritable violation du contrat […]. De la même manière, la prohibition de faire concurrence tombe par exemple en cas de licenciement par le travailleur si celui-ci intervient en raison d’une rémunération nettement inférieure à celle du marché, d’une surcharge de travail chronique malgré un avertissement, de reproches constants ou d’une mauvaise ambiance générale dans l’entreprise » (traduction libre de l’arrêt).


L’affaire que le Tribunal fédéral a dû trancher concernait un employé membre de l’encadrement et responsable d’une agence dans le placement de personnel. Son contrat de travail comportait une clause de prohibition de faire concurrence selon laquelle « il était interdit à l’employé, pendant douze mois après la fin des rapports de travail, d’assumer dans certains cantons une fonction ou une participation dans une entreprise de la branche du personnel ou d’exercer une activité indépendante ou salariée dans cette branche. Une peine conventionnelle était prévue en cas de violation de la clause de non-concurrence. Il était en outre convenu que l’employeur pouvait exiger la suppression de la situation contraire au contrat » (traduction libre de l’arrêt).


Dans cette affaire, c’est l’employé qui avait résilié son contrat de travail le 29 mars 2016 pour la fin du mois de mai 2016. Deux mois plus tard, l’employé travaillait pour une entreprise concurrente active dans le domaine du placement de personnel.


L’ancien employeur a tout d’abord saisi le tribunal afin notamment qu’il soit interdit à l’employé à titre provisoire de travailler pour l’entreprise concurrente. Il a ensuite saisi le tribunal afin que le montant de la clause pénale lui soit versée.


Le tribunal de première instance puis le tribunal de seconde instance ont donné raison à l’employeur mais ont réduit le rayon géographique ainsi que le montant de la clause pénale.


Comme moyen de défense, l’employé a invoqué le fait qu’il avait résilié le contrat de travail pour un motif justifié imputable à son employeur.


L’employé invoquait trois raisons « qui lui auraient donné un motif justifié de résiliation : premièrement, un modèle de commission a été introduit, qui a entraîné une baisse de salaire ; deuxièmement, les frais ont été réduits unilatéralement et rétroactivement ; et troisièmement, son dossier de travail a été fouillé en secret » (traduction libre de l’arrêt).


Les instances inférieures – et cela a été validé par le Tribunal fédéral – ont rejeté ces arguments en retenant qu’il s’agissait d’allégations de protection ou de défense. Elles n’ont donc pas retenu que l’employé avait résilié son contrat pour un motif justifié imputable à l’employeur et n’ont donc pas considéré que la clause de prohibition de faire concurrence tombait pour cette raison.


Dans le cas d’espèce, l’instance inférieure a « d’abord constaté que l’employé n’avait pas réussi à prouver que son employeur avait fouillé secrètement son dossier de travail. Ensuite, l’instance inférieure a considéré que l’employé n’avait pas accepté la modification du modèle de commission et la réduction des frais ».


Toujours selon les premiers juges, l’employé avait en réalité « décidé de passer à l’entreprise concurrente » en participant fin 2015 à la création de l’entreprise concurrente, en ayant des échanges réguliers avec le président du conseil d’administration de l’entreprise concurrente, en aidant à rédiger les CGA, en participant à la conception de la page d’accueil, en enregistrant un domaine Internet ou en créant des formulaires PDF pour l’entreprise concurrente.


Les premiers juges ont également retenu que l’employé avait envoyé divers documents de son ancien employeur à deux adresses e-mail privées. Il s’agissait d’accords-cadres avec des entreprises locataires de services de son ancien employeur ainsi que de décomptes de salaire, d’attestations de travail, de lettres de motivation et de CV de collaborateurs temporaires de l’entreprise.


Toujours selon les premiers juges, « la déclaration de l’employé selon laquelle il ne sauvegardait ces données sur les comptes de messagerie concernés que pour une éventuelle panne du système informatique a été jugée invraisemblable » (traduction libre de l’arrêt).


Cela a été confirmé par le Tribunal fédéral dans sa décision du 20 juillet 2021.


Ainsi, si certains précédents arrêts du Tribunal fédéral ont pu donner l’impression de sonner le glas de la clause de prohibition de faire concurrence et de la peine conventionnelle prévue dans une telle clause, l’arrêt du 20 juillet 2021 montre que tel n’est pas le cas. Les employeurs ont donc toujours intérêt à prévoir une telle clause dans les contrats de travail si les employés ont connaissance de la clientèle ou de secrets de fabrication ou d’affaires. Quant aux employés, ils doivent garder la clause en mémoire lorsqu’ils quittent l’entreprise et partent chez un concurrent.

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