Communications Droit des sociétés

Les microentreprises peuvent-elles continuer à renoncer à un organe de révision même après avoir conclu un prêt COVID-19 ?

Notre Etude accueille régulièrement des stagiaires d’été.


Dans ce cadre, notre stagiaire actuel, M. Abraham Elbaz, BLaw, a rédigé la petite note ci-jointe qui nous parait relever d’un intérêt pour nos lecteurs.


Nous nous permettons donc de la partager ci-après en vous en souhaitant une bonne lecture.




La problématique


Le droit suisse permet à une société anonyme, à certaines conditions, de renoncer au contrôle de ses comptes par un organe de révision. On parle alors d’opting out.


Pour pouvoir décider de se passer d’organe de révision, une société anonyme doit répondre aux conditions énumérées aux articles 727 et 727a du Code des Obligations (CO).


L’article 727 CO dispose que lorsqu’une société dépasse deux des trois valeurs suivantes, elle est soumise au contrôle ordinaire et ne pourra donc pas se passer d’organe de révision :


  • Total du bilan : 20 millions de francs ;
  • Chiffre d’affaires : 40 millions de francs ;
  • Effectif : 250 emplois à plein temps en moyenne annuelle.


Les groupes de sociétés ainsi que les sociétés cotées en bourse sont également soumis au contrôle ordinaire.


L’article 727a CO prévoit que lorsqu’une société n’est pas soumise au contrôle ordinaire – car elle ne remplit pas les conditions ci-dessus – elle est néanmoins soumise au contrôle restreint.


Cependant, les microentreprises ont la possibilité de renoncer complètement à tout contrôle (opting out), si (i)  la moyenne annuelle des employés à temps plein ne dépasse pas 10 emplois et (ii) l’ensemble des actionnaires a consenti à la mesure (vote à l’unanimité),


Ces conditions doivent être réunies en tout temps. En effet, si l’une des conditions précitées n’est plus remplie, la société devra à nouveau se soumettre au contrôle restreint.


Il est également important de préciser que la renonciation à tout contrôle ne porte que sur la révision des comptes annuels. A titre d’exemple, l’on peut mentionner quelques situations qui nécessitent une révision ou vérification même en cas d’opting out : la vérification du rapport de fondation (635 CO), la vérification du rapport d’augmentation de capital (652f CO), la vérification en cas de réévaluation d’actifs (670 al. 2 CO), la vérification du bilan intermédiaire lorsque la société est surendettée (725 al. 2 CO) et finalement la vérification en cas de réduction de capital (732 al. 2 CO) (CR COII-Peter/Genequand/Cavadini, art. 727 et 727a).


Quelle relation entre l’opting out et l’octroi d’un prêt Covid ?


En réponse à la pandémie du Covid-19, le le législateur a adopté une série de mesures en vue d’aider les sociétés en difficulté. La question qui se pose est de savoir si un prêt accordé à une société anonyme, cette dernière est forcée ou non de faire réviser ses comptes annuels.


La présente note traitera de cette question, non seulement sous l’angle du prêt Covid, mais également sous l’angle des aides pour les cas de rigueur.


Les prêts Covid-19 régis par la LCaS-COVID-19


La LCaS-COVID19 est venue remplacer la précédente Ordonnance (OCaS-COVID-19) édictée sous forme de droit d’urgence. En substance, dite ordonnance permettait aux entités éligibles d’obtenir un prêt cautionné par la Confédération d’un montant de 10% de leur chiffre d’affaires jusqu’à CHF 500’000.-, par une procédure qui se voulait rapide et non bureaucratique (cf. notre article détaillé à lire ici).


L’article 23 LCaS-COVID-19 prévoit des tâches supplémentaires pour l’organe de révision. La tâche principale est le contrôle du respect de l’article 2 al. 2 à al. 4 LCaS-COVID-19.


De façon non-exhaustive, les entreprises bénéficiaires de prêts Covid-19 ne peuvent absolument pas :


  • Verser des dividendes ou des tantièmes et rembourser un apport en capital dès l’obtention du prêt et jusqu’à son remboursement (art. 2 al. 2 lit. a LCaS-COVID-19) ;
  • Octroyer des prêts ou rembourser des prêts d’associés ou de personnes proches et ce à compter de l’obtention du prêt. En revanche, tous les accords préexistants sont licites en raison du principe de la fidélité contractuelle (art. 2 al. 2 lit. b LCaS-COVID-19) ;
  • Rembourser des prêts intragroupes grâce aux aides perçues. En revanche, il est toutefois licite de remplir les obligations ordinaires préexistantes (art. 2 al. 2 lit. c LCaS-COVID-19) ;
  • Transférer des fonds à une société du groupe n’ayant pas son siège en Suisse grâce aux aides perçues. En revanche, il est toutefois licite de remplir les obligations ordinaires préexistantes (art. 2 al. 2 lit. d LCaS-COVID-19) ;
  • Utiliser les aides reçues pour la restructuration financière de crédits préexistants, sauf quant :
    • au refinancement de découverts accumulés depuis le 23 mars 2020 auprès de la banque ayant octroyé le crédit cautionné en vertu de l’OCaS-COVID-19
    • aux obligations ordinaires préexistantes de payer des intérêts et des charges d’amortissements (art. 2 al. 3 LCaS-COVID-19).


Que se passe-t-il alors lorsqu’une société a renoncé au contrôle restreint ?


Le Message du Conseil fédéral nous donne un premier élément de réponse : « Il a été signalé à juste titre [Par EXPERT Suisse dans sa prise de position du 18 août 2020] durant la consultation que beaucoup de preneurs de crédit ne disposent pas d’un organe de révision, en raison de la possibilité de renoncer au contrôle restreint des comptes annuels (opting-out au sens de l’art. 727a en relation avec l’art. 727, al. 1, CO). Il n’y a néanmoins aucune raison matérielle de renoncer complètement à la présente disposition » (FF 2020 8165, p. 8213).


Il faut comprendre par cette dernière phrase que les sociétés qui bénéficient d’un opting out ne sont pas touchées par cette disposition. Le Conseil fédéral a donc jugé pertinent de ne pas modifier la situation juridique des microentreprises en renonçant à leur imposer un opting in.


En somme, les microentreprises qui ont choisi l’opting out ne doivent pas s’inquiéter de contrôles supplémentaires :’L’article 23 al.1 LCaS-COVID-19 est vidé de son contenu en ce qui les concerne. L’article précité n’oblige pas les microentreprises à devoir faire réviser leurs comptes annuels par un organe de révision.


Les aides pour cas de rigueur


Pour rappel, les aides pour cas de rigueur au sens de la Loi COVID-19 constituent une des autres mesures de soutien accordée aux entreprises impactées par les conséquences de la pandémie. Pour pouvoir bénéficier de ce soutien, il faut que l’entreprise soit particulièrement touchée. Il faut être en présence d’un chiffre d’affaires annuel inférieur à 60% de la moyenne pluriannuelle, calculée sur le chiffre d’affaires des années 2018-2019.


Que se passe-t-il pour les entreprises ayant renoncé à tout contrôle de leurs comptes annuels ?


L’ordonnance COVID-19 cas de rigueur nous a donné une première piste à son article 8f lit. c, aujourd’hui abrogé.


« Art. 8f Justificatifs à demander aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions de francs.


[…]


c. Comptes annuels 2018 et 2019 (bilan, compte de résultats et annexe) ainsi que, s’ils sont disponibles, comptes annuels 2020 ; comptes annuels révisés si l’entreprise est assujettie à l’obligation de révision » (Ordonnance COVID-19 cas de rigueur 2020, OMCR 20, état au 18.12.2021).


L’article 12 de la Loi COVID-19 n’a pas repris cette formulation.


Le législateur a donc prévu cette situation et n’a pas omis de légiférer sur les entreprises qui ne sont pas soumises au contrôle de leurs comptes. En effet, cette disposition légale mentionne implicitement les entreprises qui ne sont pas soumises à l’obligation de révision, c’est-à-dire les entreprises qui ne sont ni sujettes au contrôle ordinaire ni au contrôle restreint.


En définitive, le législateur n’a pas oublié les microentreprises qui constituent, avec les PME, le foyer de notre économie. Ces microentreprises n’ont par conséquent aucune obligation ni implicite, ni explicite de faire réviser leurs comptes ou de renoncer à l’opting out en raison des différents prêts qui leur ont été accordés dans le contexte de la pandémie.


En revanche, nous rendons attentifs les bénéficiaires de prêts Covid-19 ou des aides pour cas de rigueur à leurs obligations et devoirs. En effet, malgré un opting out, l’obligation de tenir une comptabilité subsiste. Cette obligation n’est pas à prendre à la légère puisque les informations fournies aux organismes de cautionnement doivent être exactes. Ainsi, celui qui fournit de fausses informations dans le but d’obtenir un prêt Covid-19 ou celui qui ne respecte pas l’article 2 al. 2 à 4 LCaS-COVID-19 sera puni d’une amende de CHF 100’000.- au plus.


En ce qui concerne les aides pour cas de rigueur, les cantons ont la possibilité de contrôler ponctuellement les différentes informations fournies. Tout cela s’intègre dans l’objectif de pouvoir efficacement lutter contre les abus. Les sanctions possibles sont la diminution de la contribution, la suppression de celle-ci, voire la restitution des aides perçues.


Les contrôles


Les entreprises ayant reçu une ou plusieurs aides pour cas de rigueur s’exposent désormais à des contrôles des autorités cantonales. Chaque canton dispose en effet d’une certaine marge de manœuvre pour la mise en place de processus de contrôle. Néanmoins, se pose la question de savoir jusqu’où peuvent aller les autorités cantonales dans leurs exigences.


Conformément à une récente Directive relative au contrôle des aides octroyées du canton de Vaud du 30 juin 2022, le Service de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI) est autorisé à exiger toute une série de documents et explications complémentaires de la part des entreprises concernées, permettant ainsi de contrôler si celles-ci remplissaient bien les conditions d’octroi d’aides.


Cette Directive a été adoptée sur la base de l’Arrêté cantonal du 2 décembre 2020, qui est lui-même fondé sur la Loi COVID-19 et son Ordonnance d’application.


La Directive pose ainsi des critères de révocation totale ou partielle des aides octroyées, notamment en lien avec la non-remise des états financiers, l’utilisation de l’aide, ou encore en lien avec les variations du compte-courant actionnaire.


Elle soulève donc la question de la légitimité des autorités cantonales à imposer de telles exigences.


A titre d’exemple, la Directive prévoit d’imposer à certaines entreprises (aide de plus de CHF 100’000.- ou chiffre d’affaires de plus de CHF 5’000’000.-) de faire appel à un réviseur agréé pour l’établissement d’un rapport spécifique (rapport NAS 950). Or il est non seulement difficile pour une entreprise de trouver un réviseur agréé disponible et disposé à rendre ce rapport, mais un tel mandat engendre un coût non négligeable pour la société.


De plus, les entreprises devraient fournir l’ensemble des documents requis d’ici au 31 octobre 2022, sous peine de se voir révoquer l’intégralité de l’aide perçue.


Il convient donc de suivre attentivement l’évolution des modalités de contrôle qui sont en cours d’adoption dans les différents cantons.


Wilhelm Gilliéron Avocats SA vous assiste dans ces questions.

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