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Marque tridimensionnelle : Lindt gagne les faveurs du Tribunal fédéral

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Le 30 août 2022, le Tribunal fédéral a mis un terme dans l’arrêt 4A_587/2021 à une saga concernant l’étendue de la protection conférée à celui que l’on peut désormais appeler, en Suisse du moins, le « fameux » lapin Lindt.


La protection du lapin Lindt au titre de marque tridimensionnelle


Rappelons que la protection au titre de marque tridimensionnelle du lapin a reçu une appréciation divergente suivant les pays.


Déniée par la Cour de Justice de l’Union Européenne en 2012 (C-98/11P), une décision confirmée cinq ans plus tard par la grand chambre de l’EUIPO (7 juillet 2017, affaire R 2450/2011-6), la protection dudit lapin n’en a pas moins été admise en Allemagne dans une affaire portée jusqu’au Bundesgerichthof le 29 juillet 2021 (I ZR 139/20).


Si la protection en Suisse n’a pas suscité autant de controverses, l’étendue de la protection conférée à cet enregistrement n’en restait pas moins ouverte.


L’arrêt Lindt rendu par le Tribunal fédéral : sondage d’opinion et étendue de protection conférée à la marque tridimensionnelle


Telle était la question posée par le Tribunal fédéral dans une affaire où ledit lapin était opposé à celui commercialisé par Lidl, ainsi représentés, avec la question de savoir s’il existait un risque de confusion entre eux :



Le Tribunal fédéral commence par s’intéresser au sondage d’opinion qui constituait un élément essentiel du dossier pour souligner le très fort caractère distinctif du lapin Lindt et, partant, le fait qu’il convenait de lui accorder une protection élargie.


En l’espèce, les taux de reconnaissance étaient de l’ordre de 90%, soit des taux en faisant en réalité une marque de haute renommée, même si le Tribunal fédéral ne fait pas usage de cette notion. C’est l’occasion pour le Tribunal fédéral de rappeler que le sondage d’opinion, loin d’être une simple déclaration de partie, est la preuve par excellence pour démontrer le taux de reconnaissance de la marque auprès des cercles concernés, et que sa réalisation pour l’essentiel en ligne et non en face à face ne saurait en remettre en cause la pertinence. Il s’agit d’un titre au sens de l’art. 177 CPC, soumis cependant à la libre appréciation des preuves conformément à l’art. 157 CPC. 


Si le fait d’avoir confié la réalisation du sondage à l’épouse de l’un des associés du bureau représentant Lindt apparaît quelque peu maladroit, le Tribunal fédéral relève, selon nous à juste titre, que l’on ne peut pas pour autant parler de conflit d’intérêt pouvant mettre en doute l’objectivité du rapport, puisque la personne établissant le rapport ne fait en réalité que retranscrire les résultats dudit sondage, résultats qui reflètent le point de vue des cercles concernés, non du rédacteur du rapport.


Etant ainsi admis que la forme tridimensionnelle donnée au lapin Lindt revêt le caractère de marque imposée, le Tribunal fédéral examine ensuite la question de savoir si le lapin commercialisé par Lidl en viole les droits exclusifs à l’aune de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM.


Renversant l’arrêt rendu par le Tribunal de commerce du Canton d’Argovie qui avait dénié l’existence d’un tel risque, le Tribunal fédéral considère que l’on ne saurait considérer que le public fait preuve d’une attention plus soutenue pour des lapins vendus essentiellement lors d’une occasion particulière, pour les fêtes de Pâques, que tout au long de l’année.


Etant donné le caractère fortement distinctif du lapin Lindt, il jouit d’une protection particulièrement étendue. Nonobstant les différences de détails existant entre les deux lapins, l’impression d’ensemble qui s’en dégage et qui reste dans l’esprit du public demeure similaire.


A partir du moment où la forme du lapin s’est imposée sur le marché, le Tribunal fédéral considère qu’il n’y a pas lieu de s’interroger sur la reprise des traits essentiels dudit lapin, puisque c’est bien la forme dans son ensemble qui s’est imposée comme étant distinctive dans l’esprit du public.


Particulièrement intéressante est l’opinion du Tribunal fédéral suivant laquelle la mention expresse de la marque « FAVORINA » sur le lapin de Lidl ne permet pas d’exclure le risque de confusion, dès lors qu’une telle indication n’est le plus souvent pas prise en considération par le public cible dans le domaine alimentaire, où la forme et la présentation des produits revêtiraient une importance beaucoup plus décisive que les éléments verbaux dans la décision d’achat.


L’affirmation peut surprendre compte tenu de la jurisprudence, qui commence certes à remonter, rendue dans le domaine des produits corporels dans l’arrêt Nivea/Jana (ATF 116 II 365) et celle, constante, dans le domaine horloger, où la présence de marques différentes sur le cadran est considérée comme excluant tout risque de confusion. Le domaine alimentaire serait-il à ce point différent ? Cette affirmation ne vaut-elle qu’au regard de produits où la forme tridimensionnelle joue un rôle particulier ? Sans doute ne faut-il pas y voir une affirmation de principe, mais la question demeure.


Toujours est-il qu’en l’espèce, admettant le risque de confusion sous l’angle de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM, le Tribunal fédéral laisse ouverte la question de savoir si le lapin Lindt constitue une marque de haute renommée, respectivement si une action fondée sur les art. 3 al. 1 lit. d et 3 al. 1 lit. e LCD auraient abouti.


Commentaire de l’arrêt Lindt rendu par le Tribunal fédéral : le parasitisme comme chaînon manquant ?


Dans l’ensemble, l’arrêt convainc, même si le lecteur reste sur sa fin à certains égards :


A partir du moment où le sondage d’opinion témoignait d’un taux de reconnaissance de l’ordre de 90%, on peut se demander s’il n’aurait pas été plus simple d’en conclure au caractère de marque de haute renommée du lapin Lindt et, partant, d’en conclure à une exploitation de sa réputation comme le permet l’art. 15 LPM.


On peut en effet s’interroger sur l’existence d’un véritable risque de confusion entre les deux lapins. Certes, le Tribunal fédéral n’ignore pas la question et aboutit à la conclusion qu’un tel risque existe.


C’est l’occasion de s’interroger sur l’étendue de la protection traditionnellement plus étendue conférée aux marques fortes (ATF 122 III 382). Si l’extension de cette protection est, en soi, à notre sens justifiée, relève-t-elle véritablement du risque de confusion ? A partir du moment où la forme du lapin Lindt est à ce point connue, ne faudrait-il pas plutôt en conclure que, sous l’angle du risque de confusion, le public sera d’autant plus enclin à percevoir les différences avec un lapin concurrent ? Sans dire pour autant que l’action aurait dû être rejetée, ce que nous ne pensons pas au vu du transfert d’image ainsi créé, le comportement à sanctionner ne relevait-il pas davantage du parasitisme que du risque de confusion, un comportement que l’art. 15 LPM aurait permis de sanctionner nous semble-t-il sans peine ?


De manière générale, vouloir étendre la protection conférée aux marques fortes ne revient-il pas, en réalité, à vouloir protéger les investissements consentis par le titulaire pour obtenir une telle reconnaissance et, ainsi, protéger en réalité une fonction publicitaire de la marque en y intégrant une composante relevant en réalité davantage de considérations de concurrence que de risque de confusion au sens strict ? Cela ne revient-il pas à vouloir sanctionner sous l’angle du risque de confusion les cas de figure où un transfert d’image a lieu entre les produits, en étendant par là même la notion de similarité des signes et de risque de confusion à des cas qui relèvent davantage du parasitisme ?


En toute hypothèse, on peut regretter que le Tribunal fédéral s’épargne la question de savoir si le comportement adopté par Lidl n’aurait pas dû tomber sous le coup des art. 2 ou 3 lit. e LCD. A une époque où les « look alike » et la question du parasitisme présentent un enjeu souvent plus important pour les titulaires que celui de l’éventuelle existence d’un risque de confusion, l’occasion aurait été belle pour le Tribunal fédéral de saisir la balle au bond et s’attacher à affiner sa jurisprudence somme toute rare en la matière pour savoir ce qui, dans un cas donné, constitue une pratique acceptable sur le marché ou au contraire un comportement susceptible de fausser la concurrence et qu’il convient de décourager. Le Tribunal fédéral ne l’a pas fait, on peut le regretter.


Au final, le résultat m’apparaît correct et Lindt méritait de voir le très fort caractère distinctif de son lapin acquis ensuite d’investissements conséquents protégé ; quant à la question de savoir si l’argumentation l’est, c’est une autre paire de manches, la manche du parasitisme qui mériterait d’être plus largement retenue devant nos tribunaux me semblant en l’espèce peut-être plus pertinente que celle du risque de confusion.

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