Aménagement du territoire Droit des contrats

Le « Näherbaurecht » ou le droit de construction rapproché : explications

blueprint-354233_1280-1

Le terme allemand de « Näherbaurecht » ne peut être traduit en un seul mot en langue française et l’on ne retrouve donc pas ce terme exact dans les différents textes légaux suisses romands.


Il peut toutefois être défini comme un droit de construire que l’on pourrait qualifier de « rapproché », qui consiste généralement à construire plus près de la limite de la parcelle voisine que ce que les différentes dispositions cantonales et communales ne le permettent.


Le Tribunal fédéral a récemment rendu un arrêt dans une affaire du canton de Glaris (5A_955/2022) à ce sujet. C’est l’occasion de se pencher sur cette institution du « droit de construction rapproché » et d’en rappeler les caractéristiques essentielles.


Les prescriptions du droit de la construction :


Pour rappel, le droit public de la construction est en principe du ressort des cantons, qui édictent des lois cantonales sur la construction pour réglementer les prescriptions en la matière. Une grande part de la compétence cantonale en la matière est ensuite déléguée aux communes, qui adoptent par exemple des règlements relatifs à leurs plans d’affectation.


Ces dispositions règlent notamment la manière dont les terrains peuvent être bâtis, le type et le degré d’utilisation des bâtiments ainsi que les règles d’aménagement du territoire. Elles comprennent également des dispositions en matière de limites des constructions, en particulier de distance aux limites, de la hauteur admissible ou encore du nombre d’étages autorisés. Ces normes poursuivent un objectif commun, à savoir une harmonisation des constructions et un cadre bâti offrant les meilleures conditions possibles, en fonction du type de zone dont il s’agit.


Les dispositions qui fixent par exemple une distance des constructions en fonction de la limite de parcelle sont les plus connues. Il existe toutefois également des distances impératives par rapport à des espaces de forêt, de biotopes, ou encore de cours d’eau. Ces limites, moins bien connues, sont destinées essentiellement à la protection de la nature, mais permettent aussi de garantir une certaine sécurité.


Concrètement, la surface constructible d’un terrain est donc déterminée principalement par les règles de distances, puis par des coefficients d’utilisation au sol qui diffèrent en fonction du type de zone dans laquelle se situe la parcelle concernée.


L’on parle de « distance à la limite » pour décrire la distance entre la projection du pied de façade et la limite de la parcelle, alors que la « distance entre bâtiments » correspond à la distance entre les projections des pieds de façade de deux bâtiments (cf. art. 7 de l’Accord intercantonal harmonisant la terminologie dans le domaine des constructions (AIHC)). Ces définitions se retrouvent dans toutes les lois cantonales sur l’aménagement du territoire et sur les constructions.


La dérogation aux dispositions cantonales :


Certains cantons prévoient la possibilité pour les propriétaires de déroger expressément à ces distances. Il est important de noter qu’une telle dérogation n’est jamais prévue en ce qui concerne les distances par rapport aux éléments naturels, ces dispositions revêtant un intérêt public prépondérant de protection de la nature.


A titre d’exemple, l’art. 133 de la LATeC du canton de Fribourg prévoit que : « Les propriétaires peuvent convenir, par écrit, de déroger aux prescriptions sur les distances par rapport aux limites de leurs fonds. ».


L’art. 8 al. 5 de la Loi valaisanne sur les constructions prévoit quant à elle que : « La distance à la limite peut être modifiée par la constitution d’une servitude sur le fonds voisin, pour autant que la distance entre bâtiments soit respectée. Cette servitude doit être inscrite au registre foncier également en faveur de la commune. »


Cette possibilité de conclure une « convention dérogatoire » n’est toutefois pas spécifiquement prévue dans tous les cantons et ses modalités de mise en œuvre diffèrent souvent d’un canton à l’autre.


Dans le canton de Fribourg cité en exemple ci-dessus, un accord écrit entre les propriétaires suffit. Dans le canton de Zurich, la forme écrite n’est même pas exigée. En revanche, dans les cantons d’Argovie, Bâle-Ville, Soleure ou encore Valais, cette dérogation doit être contenue dans une servitude.


Les règles diffèrent également d’un canton à l’autre en ce qui concerne le type de distances auquel il peut être dérogé. A titre d’exemple, dans le canton du Valais, la distance entre les bâtiments reste impérative, alors que la distance à la limite est de nature dispositive, ce qui signifie qu’elle peut être modifiée d’un commun accord entre les propriétaires concernés. Dans le canton d’Argovie, cette distinction n’existe pas et il est donc également possible de déroger à la distance entre les bâtiments.


Enfin, la portée de telles dérogations peut varier, notamment quant à son étendue. Il peut s’agir d’une dérogation de portée générale, par laquelle un propriétaire s’engage à tolérer par avance tous les immeubles ou parties d’immeubles qui seront situés à une distance inférieure à celle prévue par la législation cantonale, ou alors une dérogation en lien avec un projet concret qui sera mis à l’enquête.


Le droit de construction rapproché réciproque : un problème d’interprétation


Dans l’arrêt du Tribunal fédéral précité, notre Haute Cour a dû se prononcer sur un litige survenu postérieurement à l’octroi d’une telle dérogation, accordée par d’anciens propriétaires. Un différend est né entre les nouveaux propriétaires des parcelles concernés, l’un de ceux-ci cherchant à empêcher le propriétaire voisin de réaliser une nouvelle construction qui aurait bénéficié de cette dérogation. Dite dérogation avait accordée sous la forme d’une servitude, inscrite au Registre foncier. Le problème dans cette affaire résidait dans le fait que la servitude autorisait les deux propriétaires à construire sur son fonds à une distance inférieure à la distance minimale légale à la limite. L’on pourrait donc parler d’un droit de construction rapproché « réciproque ».  


Concrètement, si les deux propriétaires voulaient faire usage de leur droit de construction rapproché, leurs bâtiments respectifs auraient toutefois été trop proches et auraient violé les dispositions cantonales impératives de distances entre les bâtiments. Le Tribunal fédéral a soutenu que le fait que cette servitude réciproque ne puisse en réalité être exercée ne permettait pas de renverser le caractère impératif de cette norme.


En résumé, il appartenait aux propriétaires bénéficiaires de cette servitude réciproque de se dépêcher de déposer une demande de permis de construire pour pouvoir bénéficier de cette dérogation. Seul le premier propriétaire pouvait alors construire en ne respectant pas la distance à la limite, le second devant quant à lui s’éloigner et respecter la distance entre les bâtiments. 


Recommandations au sujet de l’utilisation de ce droit :


Cette décision du Tribunal fédéral peut avoir des conséquences importantes pour le second propriétaire en rendant parfois impossible un projet de construction. Cet exemple illustre parfaitement l’importance de bien réfléchir en amont à l’octroi de telles dérogations, en prenant en compte toutes les particularités cantonales applicables. Il convient d’être clair quant à l’étendue et aux effets d’une telle dérogation. Il peut alors être recommandé de constituer une servitude, dans la mesure où celle-ci n’est pas déjà prescrite par les dispositions cantonales, afin de formaliser ce droit de construction rapproché. Si ce droit doit être lié à un projet de construction précis et qu’il n’a pas vocation à avoir une portée plus large, il est indispensable de joindre des plans précis. En sus, il convient de veiller aux éventuels conflits entre un tel accord de droit privé et les dispositions impératives de droit public de la construction.

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

Dernières actualités de Wilhelm Avocats

image_pdf