Droit des sociétés

Le naufrage du Simplon est aussi celui de la gouvernance

Le naufrage du Simplon est aussi celui de la gouvernance. droit des sociétés à Lausanne

Le douloureux naufrage du Simplon vendredi 29 mars dernier est l’exemple le plus récent des démons avec lesquels certaines sociétés de droit public se débattent encore à l’heure actuelle en matière de gouvernance. Ce regrettable incident met ainsi en lumière les lacunes inadmissibles qui persistent toujours dans la gouvernance de certaines sociétés publiques, cela aux dépens du contribuable et de l’usager.


Dans toute société privée, cet incident, car il faut bien seulement parler d’un « incident » (toile froissée, pas de victimes) aurait au mieux conduit au blâme par la direction générale de l’auteur de la décision d’amarrer ce navire ce jour-là à Cully. Le conseil d’administration aurait au pire dû soutenir cette décision et valider le dommage subi si celui-ci n’était pas couvert par la police d’assurance prévue à cet effet.


Or, au sein de la CGN, rien ne s’est passé de la sorte. L’accident a fait place à l’émotion la plus débridée. Le conseil d’administration s’est mis aux abonnés absents. Le directeur général a été immédiatement cloué au pilori de certains journaux, flairant là une juteuse affaire en temps de disette médiatique pascale. Les employés déboussolés n’ont plus su à quel saint se vouer, les usagers ont oscillés tout le week-end entre chagrin, frustration et écœurement. Pour la CGN, le dégât d’image est total. La toute récente nomination d’une certainement très dispendieuse commission de quatre « spécialistes » externes vient encore enfoncer le dernier clou sur le cercueil de la gouvernance de cette société de droit publique vaudoise.


Cet « incident » méritait toutefois mieux que cette déliquescente gouvernance.


Une société de droit public est en effet tout simplement une société anonyme dont les actionnaires, ou une partie de ceux-ci, sont des corporations de droit public, comme une commune ou un canton. Le droit prévoit que ces sociétés doivent être organisées et dirigées selon les principes de gouvernance prévus par le droit suisse des sociétés. Selon ces principes, c’est le conseil d’administration qui exerce la haute direction de la société et est responsable de sa gestion. Il peut déléguer celle-ci à une direction générale selon les termes d’un règlement d’organisation. Le conseil d’administration n’est alors que responsable de la nomination, de la surveillance et de l’encadrement des personnes à qui il a délégué cette gestion.


Une brève recherche sur internet permet de constater que la CGN est organisée en deux sociétés anonymes distinctes : une société holding intitulée Groupe CGN SA et sa filiale à 100% la société anonyme CGN SA. C’est cette dernière qui procède à l’exploitation commerciale de la flotte.


Or, au sein de la CGN, on a tout faux au niveau de la gouvernance.


Premièrement, les membres des conseils d’administration des deux sociétés sont les mêmes. La société CGN SA et la société Groupe CGN SA ont ainsi (à deux exceptions près) les mêmes administrateurs et ils ont le même directeur général. C’est là une importante anomalie de gouvernance. Au sein du groupe CGN, on ne distingue pas qui gère le groupe et qui gère les sociétés opérationnelles. Ainsi, en cas « d’incident », tous les membres sont impliqués. Il n’y a personne pour prendre du recul et reprendre le gouvernail pour traverser ce gros temps.


Deuxièmement, le choix des membres des conseils d’administration n’est pas adapté au but des sociétés concernées. Ces conseils d’administration sont majoritairement composés d’hommes et de femmes politiques sans expérience de la gestion d’une société exploitant une flotte de bateaux (même d’eau douce) ou de transports. Une fois encore, en cas de tempête, plus personne n’est capable de diriger le navire. C’est bien là le drame de la gouvernance de trop de sociétés de droit public que d’avoir des conseils d’administration phagocytés par de purs politiciens. Un siège au conseil d’administration implique des responsabilités et des compétences métiers.


Troisièmement, il n’existe pas de gestion de crise au sein de la CGN. Or, en ces moments-là, il importe au conseil d’administration, respectivement à son président, de monter au créneau et de diriger la manœuvre. Il n’y a pas besoin d’être sorti d’une business school pour savoir que les quelques paramètres suivants s’imposent alors : prendre les mesures d’urgences pour sauver l’essentiel, communiquer adroitement pour dégonfler l’émotion, montrer qu’il y a un capitaine à bord et gérer la suite pour rassurer les clients et les actionnaires. Or, en l’espèce, force est de constater que le conseil d’administration a été absent, même invisible. Il a laissé les passagers, les employées, et même le directeur général seuls à se démerder dans une vaudaire pas possible !


Cerise sur le gâteau, le conseil d’administration continue encore actuellement, une fois la tempête météo calmée, à se défausser. Il refuse d’assumer la gestion de cette crise et la délègue sans vergogne à une commission de quatre spécialistes externes, dont les compétences sont certainement à la hauteur de leurs futurs honoraires. On est quasi certain que la montagne accouchera d’une coûteuse souris.


Ce regrettable incident aurait pu démontrer que les sociétés de droit public sont gérées correctement dans le respect du contribuable. Il n’en a rien été. Cela laisse un goût amer. Celui que ce type de sociétés n’est dirigée que par des amateurs au frais des deniers publics. Or, tel n’est heureusement pas le cas. Il y a des sociétés de droit public qui travaillent jour après jour pour améliorer leur gouvernance et se mettre à la page des meilleurs pratiques de gestion (et il y en a près de chez nous). Elles doivent certainement aujourd’hui apprécier leur diligence mais aussi déplorer l’amalgame que le public ne manquera pas de faire.

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