Droit des sociétés

SOCIÉTÉS DE RECOUVREMENT DE CRÉANCES : QUEL ENCADREMENT LÉGISLATIF ?

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De manière très sommaire, le recouvrement privé de créances consiste à charger un tiers de récupérer le produit d’une créance auprès d’un débiteur. En pratique, il arrive souvent qu’un créancier fasse intervenir une maison ou société de recouvrement, pour des raisons d’efficacité et de confort. L’appel à un recouvreur se veut une alternative aux poursuites ou au juge, en se plaçant hors d’un système considéré comme inefficace. La société de recouvrement est rémunérée en cas de succès, généralement par un pourcentage du montant récupéré. Ce rapport juridique contractuel peut prendre des formes diverses, au gré de la volonté des parties. Nous référerons dans ce paper au contrat de recouvrement.


Anatomie d’un contrat  


Le contrat de recouvrement est un contrat innomé, qui ne trouve pas de définition propre dans la loi. La jurisprudence n’a au surplus que très rarement eu à se pencher sur la question. La doctrine n’aborde quasiment pas ce sujet. Quelques éléments essentiels permettent toutefois de le qualifier et l’individualiser, à savoir le service que le recouvreur rend au créancier principal (en d’autres termes l’obtention du paiement de la créance principale par le débiteur) et la rémunération due par le créancier au recouvreur.


Sur cette base, l’on peut établir deux fondements possibles à ce rapport de droit : (i) la cession de créance (art. 164 CO) et (ii) le mandat (art. 394ss CO). Dans le premier cas, le recouvreur agit en son propre nom, alors que dans le cas du mandat, une véritable relation contractuelle existe entre le créancier principal et le recouvreur.


Une triangulation


Qu’en est-il alors du débiteur ? Quels sont les rapports juridiques qui le lient avec le recouvreur, en particulier lorsqu’il reçoit des frais de rappels du recouvreur ou lorsqu’il a payé par erreur au recouvreur un montant supérieur à ce qui était dû ?


En réalité, le rapport juridique existant entre le recouvreur et le débiteur n’est pas contractuel, leur relation n’étant qu’une « simple relation de fait ». A ce titre, le droit d’action du recouvreur repose sur un rapport de représentation directe (art. 32ss CO). Dans le cas de la cession de créance, le recouvreur agit en son propre nom, dès lors qu’il s’est substitué au créancier principal dans son rapport d’obligation avec le débiteur. Il agit toutefois pour le compte du créancier principal, à qui il restituera en principe la somme recouvrée. Il s’agit d’un rapport de représentation indirecte.


En d’autres termes, l’engagement d’une société de recouvrement n’a aucun impact sur le statut de la créance principale. Une société de recouvrement n’a donc pas plus de droits qu’un créancier standard, et ne bénéficie pas de statut qui la distingue de simples privés. De ce fait, ce sont donc les règles de base du droit des obligations qui seront applicables.


Cadre législatif


Nous avons vu que le recouvrement privé de créances n’était soumis à aucune règle particulière en droit suisse. Toutefois, comme toute activité, le recouvrement ne se conçoit pas sans limites. A l’heure actuelle, celles-ci trouvent leur fondement dans les principes généraux de l’ordre juridique suisse. En effet, toute personne se doit de respecter les principes fixés par l’ordre juridique, même s’il est amené à faire valoir ses droits ou ceux d’autrui.


Cette absence de définition légale permet aux sociétés de recouvrement de disposer d’une large liberté d’action et de développer leurs propres méthodes de recouvrement, bien que cette liberté ne soit pas absolue : une société de recouvrement demeure évidemment limitée par le risque de basculement dans l’illicéité.


Une nouvelle règlementation pour des activités controversées ?


L’on peut constater l’existence de certaines controverses entourant les activités des sociétés de recouvrement de créances. Ces controverses s’inscrivent dans un contexte de pratiques parfois observées au sein de certaines sociétés de recouvrement, qui auraient pu se montrer abusives ou excessives dans leurs démarches de recouvrement.


Une question non résolue encore en Suisse semble animer des débats en la matière depuis quelques années : est-il opportun de prévoir un cadre législatif spécifique afin de réguler les activités des sociétés de recouvrement ou permettre une surveillance de l’état dans ce domaine ?


La question est délicate dès lors qu’une réglementation en la matière ne doit pas pour autant restreindre inutilement la liberté économique, ni mettre en péril un pan de l’économie ou résulter en une renonciation à tous les bénéfices que le contrat de recouvrement peut apporter à ceux qui l’utilisent.


Certains militent en faveur de l’adoption d’une loi spéciale afin d’encadrer le recouvrement en droit suisse, comme certaines activités ressortissant principalement au Code des obligations le sont déjà : crédit à la consommation, voyage à forfait, etc.


Dans une ère où les règlementations se multiplient et se complexifient, une réglementation additionnelle applicable aux sociétés de recouvrement nous semble superflue : en effet, le droit des obligations tel que prévu dans le Code offre à ce jour une grande flexibilité et un cadre satisfaisant pour régler les rapports entre les différentes parties. Les règles de protection de droit civil et pénal répriment les comportements abusifs et des voies de droit sont prévues pour faire valoir les droits qui ne seraient pas respectés. Par ailleurs, il convient de garder à l’esprit que le processus législatif en Suisse est long et incertain. Nul doute que les questions des limites, des sanctions, de l’autorégulation et de la surveillance seraient farouchement débattues, sans pour autant garantir l’atteinte d’un compromis satisfaisant.


Le cadre législatif existant, suffisant selon nous, doit toutefois être utilisé et exploité à bon escient. A ce titre, il appartient aux divers intervenants de faire bon usage de ces règles, de s’informer et de s’éduquer.  Les tribunaux auraient également un rôle à jouer en vue de mettre en place certains garde-fous lorsque de besoin.  Comme en toute matière, l’on ne saurait faire l’économie de ce travail afin de parvenir à une utilisation efficace et optimale des normes applicables, mais déjà prévues par la législation existante. 

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