Droit du travail

LE PORTAGE SALARIAL vs PAYROLLING vs LOCATION DE SERVICE

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Le modèle de portage salarial, qui vient de la France voisine, est de plus en plus proposé en Suisse. Est-ce que ce modèle peut être transposé tel quel en Suisse ? Est-ce que ce modèle peut être assimilé à ce que l’on appelle le « payrolling » ? ou à la « location de services » ? Le présent article répond à ces questions.


En France, le portage salarial est apparu à la fin des années 70. Depuis 2008, il est expressément prévu et défini dans le Code du travail français à l’article L1251-64. Selon cet article, « le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle ».


Le portage salarial est ainsi une relation contractuelle tripartite entre le « salarié porté », l’entreprise de portage et l’entreprise cliente.


Selon le site officiel de l’Etat français[1], le « salarié porté conclut un contrat de travail avec une entreprise de portage salarial et effectue une prestation pour le compte d’une entreprise cliente. […] Toute personne ayant l’expertise, la qualification et l’autonomie lui permettant de rechercher ses clients peut être un salarié porté. Le salarié porté doit négocier les conditions d’exécution de sa prestation et en fixer le prix avec l’entreprise cliente. Le choix de l’entreprise de portage salarial lui appartient ».


Toujours selon ce site officiel, l’entreprise de portage conclut un contrat de travail avec le « salarié porté ». Elle n’a cependant pas l’obligation de lui fournir du travail. Elle conclut également un contrat de prestation de portage salarial avec l’entreprise cliente, qui ne fait que formaliser « les modalités de la mission négociées par le salarié ».


Le « salarié porté » a donc une autonomie – pour ne pas dire indépendance – certaine. C’est lui qui trouve le client, qui négocie les termes de la mission avec le client et qui fixe le prix avec celui-ci. L’entreprise de portage n’est finalement qu’un intermédiaire qui ne donne aucune instruction au « salarié » sur l’exécution du travail, qui n’acquiert pas la clientèle et qui n’assume aucune responsabilité.


Et c’est là que le « bât blesse » d’un point de vue suisse et du point de vue des assurances sociales suisses.


En effet, du point de vue suisse et des assurances sociales suisses, le « salarié porté » sera considéré comme un indépendant et non un salarié. En d’autres termes, il sera considéré comme un salarié fictif.


Comme l’explique l’Office fédéral suisse des assurances sociales (OFAS)[2], « dans le domaine des assurances sociales, la délimitation entre l’activité salariée et l’activité indépendante est décisive, notamment pour l’affiliation à l’assurance chômage, à la prévoyance professionnelle obligatoire et à l’assurance accidents obligatoire ».


Dans le cas du portage salarial, le « salarié porté » n’est intégré ni dans l’entreprise de portage ni dans l’entreprise cliente. Il assume seul « en permanence l’intégralité du risque entrepreneurial. Si le porté ne parvient pas à décrocher de contrats, il ne gagne rien. Il doit en outre subvenir seul à l’exploitation de son entreprise, c’est-à-dire notamment se procurer et entretenir les locaux et l’équipement nécessaires, et il en assume lui-même la responsabilité.


Le simple fait qu’un indépendant facture par l’intermédiaire d’une entreprise de portage, qu’il n’agisse souvent pas en son nom propre, mais qu’il fasse conclure le contrat avec la clientèle par l’intermédiaire de l’entreprise de portage et qu’il n’établisse pas lui-même le décompte des cotisations d’assurance sociale, ne fait pas de lui une personne salariée, ni d’ailleurs de l’entreprise de portage un employeur. Il s’agit plutôt d’un statut fictif de salarié. Du point de vue du droit des assurances sociales, les personnes qui décomptent via le portage salarial sont donc en général considérées comme des indépendants. Si les assurances sociales constatent que des personnes qui sont effectivement indépendantes sont annoncées comme salariées, elles les traitent comme des indépendants ».


Ainsi, et l’Office fédéral suisse des assurances sociales est clair à ce sujet – la pratique du portage salarial « n’est pas conforme au droit suisse des assurances sociales. Les personnes concernées risquent notamment de se voir refuser certaines prestations des assurances sociales bien qu’elles aient versé des cotisations ».


Le modèle français de portage salarial ne peut donc pas être transposé tel quel en Suisse et une très grande prudence s’impose si un tel modèle est proposé en Suisse.


D’autres modèles sont cependant possibles en Suisse.


L’un de ces modèles est ce que l’on appelle le « payrolling ». Dans ce modèle, il y a également une relation tripartite. Une première entreprise (« l’entreprise de mission ») entend avoir recours au service d’une personne salariée (« l’employé ») mais n’entend pas l’engager elle-même. Elle a donc recours à une seconde entreprise (« l’entreprise employeur ») afin qu’elle engage cette personne et la mette à disposition.


C’est l’entreprise de mission qui donne les instructions à l’employé mais c’est l’entreprise employeur qui verse le salaire, qui gère « le décompte et le paiement des cotisations aux assurances sociales, ainsi que, dans le cas de travailleurs étrangers, l’inscription auprès des autorités fiscales et de migration » [3].


Contrairement au modèle de portage salarial, l’employé n’assume pas le risque entrepreneurial. Il ne cherche pas les clients et ne fixe pas les modalités et le prix de la mission. Il suit en outre les instructions de l’entreprise de mission. Il a donc un réel statut de salarié au niveau des assurances sociales suisses.


Ce modèle du « payrolling » est en réalité de la location de service. La location de service est autorisée en Suisse et est régie par la loi fédérale suisse sur le service de l’emploi et la location de services (LSE).


La location de service est aussi une relation tripartite entre une entreprise (« bailleresse de service » et employeur ») qui loue les services de ses employés à une entreprise tierce (« locataire de service » ou entreprise de mission). La société locataire de service donne les instructions à l’employé « loué » et l’intègre dans son organisation du travail. La bailleresse de service assume cependant toutes les responsabilités propres aux employeurs. Elle verse le salaire ainsi que les cotisations sociales. Quant à l’employé « loué », il n’assume aucun risque entrepreneurial et a un vrai statut de salarié au niveau des assurances sociales suisses.


La location de service effectuée à titre professionnelle, soit lorsque la société bailleresse fait commerce de céder à des tiers les services de travailleurs, est soumise à autorisation. Il s’agit d’un sujet en soi qui ne sera pas développé ici mais qui fera peut-être l’objet d’un article futur de la soussignée.


La soussignée conseille cependant, ici et pour terminer, la plus grande prudence aux entreprises et aux indépendants si le modèle du portage salarial leur est proposé en Suisse. Ce modèle n’est pas conforme au droit suisse des assurances sociales et le risque est que le « salarié porté » soit considéré comme un employé fictif et se voit refusé des prestations des assurances sociales et ce même si des cotisations sociales ont été versées.



[1] https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F31620

[2] https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ueberblick/lohntraegerschaft.html

[3] https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ueberblick/lohntraegerschaft.html

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