Communications

Données volées et entraide internationale: l’effet utile plutôt que le respect de la bonne foi

Personne n’aura oublié Hervé Falciani, l’informaticien qui avait volé à la banque qui l’employait une liste de clients détenant en Suisse des avoirs non déclarés auprès des fiscs nationaux (français notamment).

Plusieurs Etats (dont la France) qui avaient reçu ces informations (d’une manière ou d’une autre) ont fondé sur celles-ci des demandes d’entraide à la Suisse. Il s’agissait soit de demandes d’entraide administrative en matière fiscale (on parlera d’entraide administrative), soit de demandes d’entraide judiciaire en matière pénale (on parlera d’entraide judiciaire). Dans la mesure où ces demandes étaient fondées sur des données volées, leur exécution en Suisse a soulevé une difficulté sous l’angle de la bonne foi: comment admettre qu’un Etat étranger ouvre des investigations sur la base de renseignements obtenus de manière illicite en Suisse, puis demande l’entraide à la Suisse pour les besoins de ces procédures ?

Les demandes d’entraide (administrative et judiciaire) étant présentées sur la base de conventions liant les Etats requérants à la Suisse, la question se résout, en premier lieu, au regard de la Convention de Vienne sur le droit des traités (RS 0.111; CV), dont l’art. 26 pose le principe que les Etats coopèrent entre eux de manière loyale, dans le respect des traités, de la parole donnée et des droits de chacun. Cette bonne foi est présumée (ATF 117 Ib 337 consid. 2b p. 340, pour l’entraide judiciaire; ATF 143 II 628 consid. 4.2.1 p. 637, pour l’entraide administrative). A partir de là, les approches sont différentes.

En droit de l’entraide judiciaire, le principe de la bonne foi signifie que les Etats s’abstiennent entre eux de toute tromperie, machinations abusives ou comportements contradictoires ou équivoques. Il en résulte que l’autorité suisse ne donne pas suite à une demande d’entraide judiciaire alimentée par des données volées, car il s’agit de moyens de preuve prohibés en droit suisse (TPF RR.2017.338 du 17 juillet 2018, entraide à la Grèce refusée; RR.2014.116 du 13 mai 2015, entraide à la Finlande refusée), à moins que cette demande repose également sur d’autres sources que celles illégales (TPF RR.2012.93 du 26 février 2013, entraide à la Belgique accordée).

Dans le droit de l’entraide administrative en revanche, la bonne foi a été évoquée dans le contexte de l’art. 31 CV (sur la portée de cette règle, cf. ATF 144 I 214 consid. 3.2 p. 220-222), qui veut que les traités sont interprétés selon le principe dit de l’effet utile (ATF 143 II 268).

Il s’ensuit que l’autorité suisse saisie d’une demande d’entraide administrative n’examine pas la façon dont l’Etat requérant s’est procuré les données fondant sa demande, même si elles ont été volées (ATF 143 II 202). Il est fait exception à cette règle lorsque l’Etat requérant a pris l’engagement préalable de ne pas utiliser de telles données (ATF 143 II 224, entraide refusée à la France pour une demande se référant aux données «Falciani»). Confrontée à la situation où l’Etat requérant avait présenté une demande étayée par des données probablement volées, la Suisse a exigé qu’elles ne soient pas utilisées. L’Etat requérant a refusé de donner une telle garantie. La Suisse, plutôt que de rejeter la demande au nom du principe de la bonne foi, se tenant liée par l’effet utile du traité, s’est inclinée pour accorder l’entraide administrative (TF 2C_819/2017 du 2 août 2018, concernant l’entraide à l’Inde; ATAF A-4154/2017 du 21 août 2018).

La Suisse, une fois de plus, a baissé pavillon, pour se livrer pieds et poings liés à l’autorité étrangère.

Mais il y a pire.

Toujours dans les relations d’entraide administrative fiscale avec l’Inde, le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales a passé un accord avec les autorités indiennes prévoyant que la Suisse répondra favorablement à des demandes d’entraide administratives, même si celles-ci sont fondées sur des données obtenues en violation du droit suisse: en clair, des données volées. Le Tribunal fédéral s’est estimé lié par l’effet utile de cet accord (cf. TF 2C_88/2018 du 7 décembre 2018). En d’autres termes, le principe de la bonne foi ne lie que la Suisse, à l’exclusion de l’Etat requérant.

Qui défend encore la souveraineté de la Suisse dans le domaine de l’entraide administrative ?

[mc4wp_form id= »6822″]

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

Dernières actualités de Wilhelm Gilliéron Avocats

image_pdf