Communications

Confidentialité de la procédure pénale et de la procédure d’entraide : attention aux abus !

Plusieurs traités d’entraide judiciaire donnent à l’Etat requérant la possibilité de demander aux autorités de l’Etat requis d’exécuter la demande d’entraide de manière confidentielle. Le droit interne permet également aux autorités suisses d’exécution de refuser l’accès au dossier de la procédure d’entraide (cf. l’art. 80n al. 1 EIMP et 15 al. 2 LAAF). Cela présuppose toutefois que l’autorité étrangère soit en mesure de démontrer, de manière suffisante, quels intérêts commandent de déroger au droit d’être entendu.

L’idée est de préserver les intérêts de l’enquête étrangère, pour éviter que les personnes poursuivies à l’étranger ne puissent avoir accès à des informations cruciales pour l’enquête, par le détour de la procédure d’entraide. Les droits des personnes touchées par les mesures d’exécution de l’entraide en Suisse sont ainsi restreints, mais dans une mesure qui devrait rester provisoire : tôt ou tard (et en tout cas avant la clôture de la procédure d’entraide), les personnes touchées devront se voir accorder le droit de consulter le dossier et d’exercer leur droit d’être entendues. Si des pièces ne leur sont pas remises, leur contenu essentiel doit leur être communiqué avant que l’autorité ne statue (art. 27 et 28 PA ; TPF RR.2009.294 du 7 octobre 2009). Ces principes sont toutefois mis à mal dans la pratique récente.

A considérer l’exemple classique où la demande étrangère tend à la remise de la documentation relative à un compte bancaire, et que l’autorité de l’Etat requérant demande la confidentialité de la procédure, on voit l’autorité d’exécution inviter la banque à lui remettre ces documents avec l’interdiction d’en informer le client (sous la menace des sanctions prévues par l’art. 292 CP). L’autorité d’exécution rend ensuite une décision d’entrée en matière qu’elle ne communique pas aux personnes touchées, examine ces pièces, ordonne des mesures d’investigation supplémentaires et n’en n’avertit la partie concernée qu’au moment de rendre la décision de clôture. Non seulement l’exercice du droit d’être entendu sur ces entrefaites se résume souvent à devoir se déterminer sur la demande d’entraide (qui n’est communiquée qu’à ce stade), ainsi que sur un grand lot de documents dans un délai très bref, mais ce droit fondamental risque en outre être irrémédiablement compromis si l’autorité d’exécution a autorisé l’autorité étrangère à participer au tri des pièces, comme les traités et la loi le permettent.

Le risque de violation du droit d’être entendu est accru lorsque, comme c’est souvent le cas, la présentation d’une demande d’entraide étrangère provoque l’ouverture d’une procédure pénale en Suisse. Le cas emblématique est celui où la demande étrangère porte sur des soupçons de blanchiment en Suisse du produit du crime commis à l’étranger. L’autorité de poursuite pénale en Suisse considère que sur la base des informations reçues, il y a lieu pour elle d’ouvrir une procédure pénale en Suisse, pour les besoins de laquelle elle requiert à son tour l’entraide à l’autorité étrangère. On parle alors de demandes croisées, mettant en jeu deux procédures pénales nationales et deux procédures (internationales) d’entraide inextricablement liées. Cette configuration présente un risque élevé de détournements de procédure désignés sous le vocable d’entraide « sauvage » (cf. Robert Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 5ème éd., Berne, 2019, n°418).

Il arrive que la procédure pénale nationale consécutive à la présentation d’une demande d’entraide étrangère, pour laquelle la confidentialité est demandée, soit elle-même conduite dans le secret, au motif de protéger, par ce biais, l’enquête étrangère. Cela signifie que les demandes croisées et les procédures liées sont conduites de manière occulte, dans le dos des parties. Comment concilier cela avec les principes fondamentaux de la procédure pénale, comme celui de se voir notifier les charges, de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense, de consulter le dossier, de demander l’administration de moyens de preuves et de participer aux actes d’enquête, pour ne citer que ceux-ci ?

Rétorquer à cela que tous ces droits seront garantis au terme de la procédure relève souvent de l’artifice. Comment surmonter le retard pris sur le Procureur qui a déjà plusieurs longueurs d’avance sur la défense ? Comment assurer effectivement le respect des droits des personnes concernées ? Comment assurer l’égalité des armes et des parties ? Comment protéger le citoyen contre le risque d’arbitraire de l’Etat ? Où sont les garde-fous ?

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