Communications

Séquestre pour l’éternité dans le droit de l’entraide judiciaire internationale ?


A. La question


L’hypothèse visée ici est celle où l’autorité de poursuite pénale étrangère a présenté une demande d’entraide judiciaire à la Suisse, en demandant la remise de documents bancaires (au titre de moyens de preuve dans la procédure pénale) et le séquestre conservatoire d’avoirs saisis auprès de la banque en Suisse (en vue d’une remise ultérieure en vue de confiscation au profit de l’Etat ou de restitution aux victimes). Lorsque l’autorité suisse répond favorablement à la demande étrangère les avoirs saisis en Suisse restent bloqués jusqu’à la présentation, par l’Etat requérant, d’une deuxième demande d’entraide, portant cette fois-ci sur la remise par la Suisse à l’Etat requérant des fonds bloqués en Suisse (cf. art. 33a OEIMP). Cette remise est accordée pour l’exécution, dans l’Etat requérant, d’un jugement définitif et exécutoire dans l’Etat requérant, rendu à l’issue d’une procédure conforme aux exigences minimales de la CEDH (cf. art. 74a al. 1 à 3 EIMP). 


Que se passe-t-il lorsque la deuxième demande étrangère tarde à venir ?


B. La règle


Le séquestre ordonné pour les besoins de l’exécution de la demande d’entraide étrangère doit rester proportionné, notamment dans sa durée. Passé un certain délai imparti à l‘Etat requérant pour compléter la demande et donner les moyens de statuer à l’autorité d’exécution, le séquestre doit être levé (ATF 126 II 462 consid. 5d p. 470/471). Le critère de l’avancement de la procédure étrangère est déterminant dans l’appréciation de la proportionnalité de la durée du séquestre. Si les autorités étrangères démontrent qu’elles ont la volonté d’aller de l’avant, le séquestre sera maintenu ; à défaut, il doit être levé (TPF RR.2020.76 du 27 juillet 2020, consid. 2).


C. La pratique


Il n’est pas rare de voir des séquestres provisoires au sens de l’art. 33a OEIMP maintenus pendant plusieurs années, dans l’attente de la deuxième demande d’entraide. Dans des cas exceptionnels, cette attente a duré plus de dix ans (affaires Marcos, Duvalier, Salinas, Wang, Abacha, pour ne citer que les plus célèbres), parfois en vain. Cela s’explique pour plusieurs raisons. Il peut arriver que les autorités étrangères n’arrivent pas, faute de temps ou de moyens, à conduire une procédure pénale qui se termine par le renvoi de prévenus en jugement. Il peut arriver aussi que les demandes d’entraide sont la conséquence d’un changement de pouvoir politique dans l’Etat requérant, où les nouveaux venus poursuivent leurs prédécesseurs notamment à raison de faits de corruption et de blanchiment à grande échelle. Dans ces cas, il n’est pas rare de constater que le nouveau pouvoir doit composer avec le précédent, au point de retarder, voire d’empêcher complètement la poursuite de la procédure pénale, qui s’enlise dans les sables. C’est ce qui est en passe de se produire avec les demandes consécutives au Printemps arabe de 2011. Enfin, il arrive que la poursuite pénale est stoppée dans l’Etat requérant, lorsque les moyens de preuve ont été obtenus par la collaboration des prévenus en échange de la réduction des peines (plea bargain), voire le partage du produit du crime entre l’Etat et les auteurs. Dans une telle situation, il est difficile, voire impossible, aux autorités de l’Etat requérant de reconnaître un tel partage et d’informer les autorités suisses qu’elles ne réclameront pas les fonds bloqués en Suisse.


Le problème est que les autorités d’exécution suisses considèrent qu’aussi longtemps que la demande de blocage provisoire n’est pas expressément retirée par l’Etat requérant, ce qui fait perdre ipso facto son objet au séquestre, il leur est interdit de lever le séquestre au sens de l’art. 33a OEIMP. On se trouve dès lors dans une impasse procédurale : la demande étrangère ne viendra jamais ; l’autorité d’exécution se voile la face, nie l’évidence et maintient le blocage, au risque de l’éternité.


D. La critique


La timidité (pour ne pas dire la pusillanimité) que l’on constate parfois chez certaines autorités d’exécution repose sur une erreur de compréhension de leur rôle.


Le procureur suisse qui exécute une demande d’entraide étrangère et qui ordonne, à ce titre, un séquestre provisoire au sens de l’art. 33a OEIMP, n’est ni l’auxiliaire, ni le bras armé en Suisse du procureur étranger. Il est l’agent de la Confédération investi de la tâche de conduire sa procédure dans le respect des principes fondamentaux de l’Etat de droit, parmi lesquels figure en bonne place le principe de la proportionnalité des mesures qui restreignent les droits fondamentaux (art. 36 Cst.).


Puisse-t-il ne pas le perdre de vue.

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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