Aménagement du territoire

Le surdimensionnement des zones à bâtir : un point de situation dans le canton de Vaud

Compte-rendu de l’exposé du 13 février 2018.


Auteur : Ema Bolomey, avocate au sein de l’Etude Wilhelm Avocats SA, Lausanne.


Le contexte :


La révision de la LAT est entrée en vigueur au 1er mai 2014 et a amené quatre évolutions principales :


  • Il a d’abord été décidé que le développement de l’urbanisation doit désormais se faire vers l’intérieur du milieu bâti et que celui-ci doit être compact.
  • L’horizon de planification des zones à bâtir a été fixé à quinze ans. Pour respecter cette exigence, des mesures doivent être prises dans le Plan directeur cantonal.
  • En outre, la révision de la LAT amène au constat que les zones à bâtir excédentaires doivent obligatoirement être réduites. Conformément à l’article 15 de la LAT et à la mesure A11 du plan directeur cantonal, bon nombre de communes du canton doivent redimensionner leurs zones à bâtir pour qu’elles correspondent aux besoins pour les 15 prochaines années.
  • Enfin, un second horizon de planification, à 25 ans a été prévu, qui doit permettre de définir le territoire à réserver à l’urbanisation. Il pourra être légalisé lors d’une prochaine démarche de planification. Il constitue une réserve de développement pour la commune, au-delà des 15 ans prévus par la LAT.


Cette révision a amené un changement de paradigmes, dans le sens où :


  • Les principes de densité, de compacité, de continuité, d’accessibilité de la zone à bâtir sont affirmés dans la loi ;
  • La protection des terres agricoles a été renforcée, en particulier en ce qui concerne les surfaces d’assolement ;
  • On ne peut plus créer de nouvelles zones à bâtir tant qu’il existe des réserves ou des possibilités d’exploiter de la zone à bâtir existante ;
  • Enfin, le législateur a imposé de rendre la zone à bâtir disponible et utilisée dans un délai de maximum 15 ans.


Depuis l’entrée en vigueur de la LAT révisée au 1er mai 2014, les cantons ont un délai de cinq ans pour adapter leur plan directeur à cette nouvelle loi.


Pendant cette période de cinq ans, les classements en zone à bâtir étaient uniquement autorisés s’ils faisaient l’objet d’une compensation simultanée par des surfaces de taille équivalente.


Approbation du 4ème Plan directeur cantonal :


En date du 30 janvier 2018, le Conseil fédéral a approuvé le 4ème plan directeur cantonal du canton de Vaud.


Cette approbation a pour effet de mettre un terme au moratoire sur la création de nouvelles zones à bâtir dans le canton.


Désormais, les communes qui disposent de zones à bâtir d’habitation et mixtes trop importantes par rapport à leurs besoins vont devoir procéder à leur redimensionnement d’ici au 30 juin 2022.


Il convient de signaler que les Communes peuvent bénéficier de l’appui technique du SDT et de subventions accordées par le Département du territoire et de l’environnement pour financer les études qu’elles entreprendraient dans ce cadre.


Dès lors que les Communes sont désormais confrontées à cette obligation de redimensionner leurs zones à bâtir, ci-après seront passés en revue les moyens à disposition des Municipalités ainsi qu’un bref survol de quelques décisions de jurisprudence qui précisent ces dispositions légales.


A.  Zone réservée : art. 27 LAT, 46 et 62 LATC


Conformément aux articles 27 LAT et 46 LATC, la Municipalité peut établir une zone réservée.


Cette possibilité est également donnée au Canton, qui peut donc imposer une zone réservée à une commune lorsqu’il le juge nécessaire.


B.   L’art. 77 LATC : Plans et règlements en voie d’élaboration


Conformément à l’article 77 al. 1 LATC, les Municipalités peuvent refuser l’octroi d’un permis de construire lorsque des plans ou règlements sont en voie d’élaboration et que le projet en question compromettrait le développement futur du quartier ou qu’il semble contraire aux plans ou règlements futurs.


Sur la base de cet article, le Département cantonal peut aussi s’opposer à l’octroi d’un permis de construire lorsqu’un nouveau plan cantonal d’affectation ou une zone réservée sont envisagés.


C.   L’art. 79 LATC : plans et règlements soumis à l’enquête publique


Enfin, lorsque des plans ou règlement sont soumis à l’enquête publique, l’art. 79 LATC – qui est une disposition impérative et s’applique d’office – impose aux Municipalités de refuser toute demande de permis de construire qui va à l’encontre du projet.


D.   La révision des plans d’affectation


Le redimensionnement des zones à bâtir passera en principe par une révision du plan général d’affectation.


Les étapes à entreprendre sont nombreuses et de longue haleine.


  • élaboration de la vision communale du redimensionnement et demande de subvention à soumettre au Service du développement territorial pour accord préliminaire;
  • si nécessaire, élaboration d’une zone réservée communale pour bloquer la constructibilité sur le périmètre complet ou partiel de la commune;
  • dézonages rapides des parcelles situées à l’extérieur du territoire urbanisé;
  • révision du plan général d’affectation en vérifiant ses effets sur le dimensionnement à l’aide de l’outil cartographique ;
  • soumission de la révision du plan général d’affectation au Service du développement territorial pour examen préalable.


Survol de décisions récentes de jurisprudence :


AC.2016.0248 du 28 février 2017 (Donneloye)


Dans cet arrêt, la Municipalité de Donneloye a refusé le permis de construire sur la base de l’art. 77 LATC, en expliquant que l’ouvrage rendrait le redimensionnement plus difficile et contreviendrait à un projet de zone réservée.


Dans cet arrêt, les conditions d’application de l’article 77 LATC ont été rappelées, à savoir :


  • Qu’il y ait un début de concrétisation du projet de plan d’affectation
  • Et un réel besoin de planification de la commune


L’application de l’article 77 LATC revient à accorder un effet anticipé négatif d’une norme pas encore approuvée.


D’un point de vue procédural, l’art. 77 est donc conçu comme une mesures provisionnelle.


Dans cet arrêt, la CDAP a considéré qu’au vu des circonstances, la Municipalité n’a pas abusé de sa marge d’appréciation ni violé le principe de la bonne foi en considérant, un mois avant la mise à l’enquête publique d’un projet de zone réservée, que l’article 77 LATC ne lui permettait pas de délivrer le permis de construire pour un ouvrage non conforme à la zone réservée envisagée.


AC.2017.0055 du 29 septembre 2017 (Lutry)


Dans un arrêt qui concernait la Commune de Lutry, la parcelle pour laquelle un permis de construire a été demandé était située dans un territoire déjà largement bâti compris entre la route de Lavaux et la rive du lac. Pour cette parcelle, ni la commune ni le canton n’envisagent une éventuelle réduction de la zone à bâtir.


La parcelle est de plus située hors du périmètre de la zone réservée mise à l’enquête publique.


Dans ce cas, la CDAP a jugé que la Municipalité pouvait donc renoncer à faire application de l’art. 77 LATC.


Il s’agit là d’un bon exemple de la grande liberté d’appréciation qui est accordée au Commune dans le cadre de l’examen de l’application de cet article.


AC.2017.062 du 24 octobre 2017 (Vully-les-Lacs)


Dans un autre arrêt, suite à la mise à l’enquête d’une zone réservée, les voisins ont demandé la révocation d’un permis de construire délivré par la Municipalité. Leur demande a été rejetée et ils ont recouru à la CDAP.


Cette dernière a alors considéré qu’il n’est pas possible de révoquer un permis de construire entré en force alors que la zone réservée est seulement mise à l’enquête.


La CDAP a donc considéré qu’il n’y a pas de révocation possible en application de l’art. 79 LATC, l’effet anticipé négatif étant limité aux procédures d’autorisation en cours.


Dans ce cas, la CDAP a également retenu que l’intérêt privé à pouvoir exécuter le permis de construire l’emporte sur l’intérêt public à bloquer la construction d’un seul logement, qui en plus ne menace pas le but de la zone réservée.


AC.2016.0356 du 2 octobre 2017 (Vucherens)


Dans cet arrêt, il est question d’un cas où le Département cantonal a fait opposition au projet de construction, en indiquant qu’une zone réservée est envisagée.


La CDAP a jugé que l’opposition du Département au projet de construction, qui a été suivie, dans le délai utile, de l’enquête publique sur l’instauration d’une zone réservée, a pour effet d’empêcher de manière absolue la délivrance du permis de construire sans qu’il soit possible au constructeur de faire examiner le bien-fondé de la zone réservée ni sa concordance avec une éventuelle modification en cours du plan d’affectation.


Ce n’est que dans la procédure relative à la zone réservée, qui peut faire l’objet durant l’enquête publique d’une opposition suivie d’une décision sujette à recours, que se posera la question de son bien-fondé.


AC.2016.0270 du 5 septembre 2017 (Villars-le-Comte) et AC.2017.0055 du 29 septembre 2017 (Lutry)


Ce qui précède a été confirmé dans de nombreux arrêts de la CDAP, comme par exemple dans les deux arrêts cités ici.


La CDAP a alors considéré que c’est à juste titre que la Municipalité a refusé de délivrer le permis de construire du moment que le Service du développement territorial a formé opposition en se fondant sur l’art. 77 LATC au motif qu’il envisageait la mise à l’enquête d’une zone réservée cantonale.


Il est précisé dans cet arrêt que la zone à bâtir de la commune était manifestement surdimensionnée et que la parcelle litigieuse pourrait à l’avenir être déclassée en zone agricole vu sa situation périphérique.


AC.2016.305 du 3 août 2017 (Founex)


Le 28 avril 2016, la Municipalité a fait part aux propriétaires de terrains situés sur le territoire communal de son intention d’établir et de mettre à l’enquête prochainement une zone réservée concernant les zones à bâtir communales constituant la première étape de la révision du plan général d’affectation (PGA) communal visant à redimensionner les zones à bâtir communales.


Le projet des propriétaires a lui été déposé auprès de la Municipalité le 3 février 2018 – donc postérieurement au projet de zone réservée, mais mis à l’enquête publique du 30 avril 2016 au 29 mai 2016.


Dans sa séance du 11 juillet 2016, la municipalité a décidé d’octroyer le permis de construire sollicité par les constructeurs et de lever les oppositions.


Elle a renoncé à se fonder sur l’art. 77 LATC, considérant que le redimensionnement des zones à bâtir ne serait pas entravé par le projet. La parcelle était située dans un environnement largement bâti et le projet était de modeste importance.


Toutefois, l’un des voisins n’était pas de cet avis et il a recouru contre cette décision.


Ensuite, pendant la procédure de recours, la zone réservée prévue par la Municipalité a été mise à l’enquête publique et le voisin a invoqué une violation de l’art. 79 LATC par la Commune.


Il considérait donc que la Municipalité aurait dû refuser ce permis.


La CDAP en a jugé autrement, en considérant que la mise à l’enquête du projet de planification après le dépôt du recours ne permet pas à la CDAP d’annuler le permis de construire en application de cette disposition.


Il s’agit là d’une décision qui protège encore une fois la libre appréciation de la Municipalité.


AC.2016.0423 du 22 août 2017 (Jorat-Menthue)


Dans un arrêt du 22 août 2017, Jorat-Menthue, la CDAP a rappelé ce même principe, tout en relevant que le sort du permis de construire contesté reste régi par l’art. 77 LATC.


La question qui se pose demeure celle de savoir si la municipalité a correctement usé de son pouvoir d’appréciation en délivrant le permis de construire.


En revanche, la CDAP a laissée indécise la question de savoir s’il doit en aller de même lorsque la Municipalité a refusé le permis en application de l’art. 77 LATC et que le projet de planification invoqué pour motiver ce refus est mis à l’enquête pendant la procédure de recours.


AC.2016.0423 du 22 août 2017 (Jorat-Menthue)


Ce même arrêt rappelle également que l’article 77 LATC s’applique aussi à l’autorisation préalable d’implantation.


La CDAP a également jugé que même après la délivrance de l’autorisation préalable d’implantation – qui est donc une décision favorable au constructeur – la Municipalité conserve la possibilité de refuser le permis de construire en raison d’une modification de la planification, que celle-ci soit envisagée (art. 77 LATC) ou déjà mise à l’enquête (art. 79 LATC).


Conclusion :


Plusieurs principes et conseils peuvent être dégagés des décisions citées ci-dessus :


  • En premier lieu, la situation de la parcelle sur laquelle les travaux sont envisagés est primordiale pour juger de l’issue de la procédure d’octroi du permis de construire.


Dans tous les arrêts récents, la jurisprudence est constante dans les cas où la parcelle est en périphérie, qu’elle n’est pas facilement accessible, etc.


  • Ensuite, il faut souligner la large marge d’appréciation des Municipalités sur la base de l’article 77 LATC. Il appartient aux Communes d’évaluer dans quelle mesure un projet de construction l’empêcherait de redimensionner ses zones à bâtir et dans quelle mesure ce projet est contraire aux futurs plans ou règlements.
  • En outre, il faut rappeler que le pouvoir du Département, respectivement du Service du développement territorial est large dès lors qu’il peut prévoir des zones réservées, mais aussi faire opposition à l’octroi d’un permis de construire lorsqu’une telle zone est envisagée.


En effet, pour se conformer à la mission qui lui a été confiée par le Conseil d’Etat, le SDT analyse de manière systématique toutes les demandes de permis de construire parues dans la FAO en fonction des 4 critères suivants :


  • La demande de permis de construire est-elle faite dans une commune disposant de réserves en zones à bâtir d’habitation et mixtes surdimensionnées ?
  • Le projet de nouvelle construction est-il destiné à l’habitation ?
  • Est-il situé hors des périmètres de centre définis par le Plan directeur cantonal ?
  • Est-il situé hors du territoire urbanisé ?


Si ces quatre questions peuvent être répondues par l’affirmative, le SDT s’opposera systématiquement de manière formelle. Cette opposition liera la Municipalité, comme on l’a vu tout à l’heure.


  • Enfin, il faut souligner que les autorisations préalables d’implantation sont un outil dont la portée est dorénavant très limitée par les possibilités d’opposition des Municipalités (art. 77 et 79 LATC).


Tableau récapitulatif :


Article 77 LATC Article 79 LATC
  • Liberté d’appréciation de la Municipalité pour refuser / octroyer le permis lorsque plan ou la zone réservée sont en cours d’élaboration
  • Applicable même en cas d’autorisation préalable d’implantation
  • Possibilité d’opposition du Département en cas de zone réservée

lie la Municipalité

  • Disposition impérative et qui s’applique d’office
  • Pas de révocation possible des permis de construire qui sont entrés en force avant la mise à l’enquête publique de la zone réservée


Les défis qui attendent les 169 Communes vaudoises qui doivent redimensionner leurs zones à bâtir ne sont pas à négliger et les situations transitoires sont nombreuses.


En attendant la révision des plans généraux d’affectation, il semble nécessaire d’analyser chaque projet de construction en fonction de l’avancement des projets de planification des communes, mais également en étudiant de près l’emplacement de la parcelle.

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