Un arrêt rendu le 16 juillet 2021 par le Tribunal fédéral est l’occasion de revenir sur la notion de « travailleur qui exerce une fonction dirigeante » (ATF 4A _30/2021) et ouvre peut-être une porte à une interprétation moins restrictive de cette notion. Celle-ci est importante dans la mesure où la Loi sur le travail ne s’applique pas à ces « travailleurs qui exercent une fonction dirigeante ».
L’arrêt susmentionné concerne un employé engagé en qualité de « chef de projet sports nautiques » avec un salaire annuel de CHF 156’000.- brut. Son droit aux vacances annuelles était de 28 jours, dont trois jours étaient destinés à compenser le fait « qu’aucune heure supplémentaire ne peut être réclamée ». Un appartement de fonction lui était également fourni. Un contrat de détachement temporaire avait également été conclu par la suite, dans lequel le poste de l’employé était désigné comme « Responsable des sports nautiques ».
A la suite de son licenciement, l’employé a saisi les tribunaux du canton de Zoug et a réclamé, entre autres, un montant à titre de compensation pour les heures supplémentaires et pour le travail le dimanche.
Le tribunal de première instance a partiellement admis sa demande, mais l’a rejetée en ce qui concerne les heures supplémentaires et le travail du dimanche au motif que l’employé exerçait une activité de cadre supérieur et donc que la Loi sur le travail ne s’appliquait pas. Cette décision a été confirmée par le Tribunal cantonal, puis par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 16 juillet 2021.
Pour rappel, selon l’article 3 LTr, sous réserve de l’art. 3a, la Loi ne s’applique pas « aux travailleurs qui exercent une fonction dirigeante élevée, une activité artistique indépendante ou une activité scientifique ».
Ainsi, pour n’en citer que quelques-unes, les dispositions sur la durée maximum de la semaine de travail, sur le travail de nuit, sur les pauses, sur le travail supplémentaire et sur le travail le dimanche ne s’appliquent pas à ces employés. En d’autres termes, sauf disposition contraire prévue dans le contrat de travail et sauf en matière de protection de la santé, l’employé qui exerce une fonction dirigeante ne peut pas invoquer la LTr et ne peut pas fonder des prétentions sur la base de celle-ci.
La fonction dirigeante élevée est définie à l’article 9 OLT 1. Selon cet article, « exerce une fonction dirigeante élevée quiconque dispose, de par sa position et sa responsabilité et eu égard à la taille de l’entreprise, d’un pouvoir de décision important, ou est en mesure d’influencer fortement des décisions de portée majeure concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise ».
Cette notion de fonction dirigeante élevée a toujours été interprétée de manière très restrictive par les tribunaux suisses et par le SECO.
Dans son commentaire de l’article 9 OLT 1, le Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO) précise que « en vertu du principe d’application générale de la loi, la notion de fonction dirigeante élevée doit être interprétée de manière restrictive. Les critères de référence sont ceux du présent article et non la qualification de la fonction découlant d’un contrat, d’une convention collective de travail ou d’un règlement du personnel par exemple ».
Le SECO relève que « le message relatif à la loi sur le travail (FF 1960,p. 925) donne comme exemples de travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée les directeurs et chefs d’entreprise (mais non les contremaîtres), les associés d’une société en nom collectif autorisés à représenter celle-ci, les associés indéfiniment responsables d’une société en commandite, les membres du conseil d’administration d’une société anonyme, d’une société à responsabilité limitée ou d’une société coopérative » (https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Arbeit/Arbeitsbedingungen/Arbeitsgesetz-und-Verordnungen/Wegleitungen/Wegleitung-zur-ArGV-1.html).
Ainsi, le seul fait que le contrat de travail prévoit que l’employé a une fonction dirigeante élevée n’est pas suffisant. Il faut que, dans les faits, il exerce réellement une telle fonction.
Il convient également de « ne pas confondre la notion restreinte de travailleur qui exerce une fonction dirigeante élevée au sens de l’art. 3 let. d LTr avec la notion de cadre qui est, elle, autonome et beaucoup plus large » (Commentaire de Jean-Philippe Dunand d’un arrêt ATF 2C_745/2014 dans :https://www.droitdutravail.ch/files/analyses/2_15_mai_Analyse_2C_745_2014.pdf). La plupart des cadres en Suisse ne font pas partie de la catégorie des travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée et la LTr ne leur est donc applicable.
Dans l’affaire faisant l’objet de l’arrêt susmentionné (ATF 4A _30/2021, traduction libre de l’allemand au français), la fonction dirigeante élevée a été retenue par les instances inférieures pour les motifs suivants :
Le Tribunal fédéral a validé cette analyse. Pour lui, le fait que l’employé ne se trouve pas au même niveau hiérarchique que le PDG ou le conseil d’administration n’est pas relevant.
S’agissant de la question de la rémunération, le Tribunal fédéral rappelle que « le niveau des revenus n’est pas le critère décisif, mais cela doit néanmoins être pris en compte comme une indication dans le contexte général. Si le salaire de l’employé ne diffère que de façon insignifiante de celui des cadres supérieurs, cela indique qu’il s’agit d’un cadre supérieur donc ayant une fonction dirigeante »
En ce qui concerne l’absence de pouvoir de signature, le Tribunal fédéral relève, que, « comme pour le salaire, ce seul élément n’est pas non plus déterminant. De plus, dans le cas d’espèce, l’absence de pouvoir de signature s’explique par le fait qu’une part prédominante de l’activité de l’employé s’exerce à l’étranger » (ATF 4A _30/2021, traduction libre de l’allemand au français).
Sur la base de ces explications, l’auteure soussignée n’est pas certaine que l’arrêt du Tribunal fédéral ouvre la porte à une interprétation moins restrictive de la notion de « fonction dirigeante élevée ».
Il est cependant intéressant, car il rappelle qu’un examen global doit être fait pour chaque cas et rappelle les indices ou critères qui peuvent être pris en compte. Parmi ces indices figurent le salaire et le pouvoir de signature. Ces deux indices ne sont pas en soi déterminants mais doivent être pris en compte dans l’examen global.
Les employeurs mais également les employés doivent donc toujours être vigilants et surtout doivent être conscients que le seul fait qu’un contrat de travail prévoit que l’employé exerce une fonction dirigeante n’est pas suffisant pour écarter l’application de la Loi sur le travail et donc pour écarter des prétentions sur cette base.
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