Droit du travail

FOR, COMPETENCE DES TRIBUNAUX ET TELETRAVAIL

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Un arrêt du Tribunal fédéral du 22 mars 2022 (ATF 4A_548/2021) est l’occasion de rappeler que le for en matière de litige de droit du travail, soit le lieu où l’employé peut ouvrir action contre son employeur (et inversement), n’est pas forcément au lieu mentionné dans le contrat de travail ou au siège de l’employeur et peut être, le cas échéant, au domicile de l’employé.


Pour rappel, en vertu de l’article 34 du Code de procédure civile suisse (CPC), « le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou celui du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle est compétent pour statuer sur les actions relevant du droit du travail ». En d’autres termes, si un employé ouvre action contre son employeur, il peut agir à choix devant les tribunaux du siège de son employeur ou devant les tribunaux du lieu où il exerce habituellement son activité.


L’affaire que le Tribunal fédéral a eu à trancher concernait un employeur basé à Berne et un employé responsable du marché international, en particulier de la France, qui était domicilié dans le canton de Genève. Le contrat de travail désignait Berne comme lieu de travail mais précisait que, dans le cadre de ses tâches et sa fonction, l’employé pouvait être amené à exercer son activité ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Les parties avaient également « conclu un accord de télétravail prévoyant l’installation d’une place de travail au domicile du travailleur à… (GE) (art. 2), tout en laissant à sa disposition une place de travail au siège de l’entreprise (art. 4). Cela étant, le lieu de travail restait déterminé par le contrat individuel de travail (art. 5) ».


Suite à son licenciement, l’employé a ouvert action contre son employeur devant les tribunaux du canton de Genève. L’employeur a invoqué, par une requête incidente, l’incompétence en raison du lieu des tribunaux genevois. Pour l’employeur, l’action aurait dû être ouverte à Berne.


Le tribunal de première instance de Genève, puis le tribunal cantonal du canton de Genève, ont tous les deux rejeté la requête incidente de l’employeur et donc admis la compétence des tribunaux genevois.


Cela a également été confirmé par le Tribunal fédéral qui rappelle les principes suivants en matière de for en cas de litige de droit du travail :


  • Le for alternatif prévu à l’article 34 CPC « protège le travailleur en tant que partie socialement la plus faible […].
  • La jurisprudence a précisé comment déterminer le « lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle » […].
  • Est ciblé le lieu où se situe effectivement le centre de l’activité concernée. 
    N’entre pas en considération l’endroit désigné théoriquement comme lieu de travail, lorsque l’intention exprimée par les parties ne s’est pas concrétisée et qu’aucune activité n’y a été entreprise. Les circonstances du cas concret sont décisives. Il faut tenir compte des aspects quantitatifs et qualitatifs.
  • Lorsque le travailleur est occupé simultanément dans plusieurs endroits, prévaut celui qui se révèle manifestement central, du point de vue de l’activité fournie
  • Les voyageurs de commerce ou autres travailleurs affectés au service extérieur d’une entreprise n’ont parfois aucun point de rattachement géographique prépondérant. On peut cependant retenir un tel lien avec le lieu où le travailleur planifie et organise ses déplacements et accomplit ses tâches administratives. Il peut s’agir de son domicile personnel.
  • Le for peut donc se trouver là où l’employeur n’a aucun établissement, ni aucune installation fixe.
  • Il ne faut envisager qu’avec retenue la situation singulière où aucun for du lieu de travail habituel n’est disponible ».
  • La recherche du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle « doit se faire en fonction des liens effectifs que le travailleur a entretenus avec un certain endroit ».
  • Il convient donc de rechercher « avec quel lieu l’employé avait effectivement entretenu le plus d’attaches ».


Dans l’affaire susmentionnée (ATF 4A_548/2021), il a été retenu, par les tribunaux de première instance et les tribunaux de seconde instance (et cela n’a pas été jugé arbitraire par le Tribunal fédéral), que Genève était le lieu habituel de travail car, « membre de la direction, le demandeur [l’employé] se rendait à Berne environ deux jours par mois, parfois quatre, pour assister aux séances du comité de direction et rencontrer son supérieur hiérarchique. 


Il n’y avait pas un bureau individuel, mais partageait un bureau avec son subalterne, voire avec l’ensemble des représentants de A.________ France.


– Cela étant, il ne prenait pas seulement des décisions lorsqu’il se trouvait à Berne, mais exerçait aussi une fonction dirigeante depuis son domicile genevois, où avait été installé un poste de télétravail. Il accomplissait même son activité principalement à cet endroit quand il n’était pas en déplacement à l’étranger, et ce d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif. 


De… (GE), il était en contact permanent avec ses collaborateurs directs de A.________ France et y organisait même des réunions avec les responsables de cette entité.


Il ne se déplaçait pas forcément à Berne pour rencontrer son supérieur, mais discutait aussi avec lui par téléphone. Depuis son domicile, il était en communication permanente avec le siège de l’entreprise.


En outre, il y organisait ses déplacements et s’y acquittait de toutes ses tâches administratives ».


Cette affaire est l’occasion de rappeler aux employeurs suisses, mais également aux employés, que le for en matière de litige de droit du travail, n’est pas forcément au lieu mentionné dans le contrat de travail et n’est pas forcément au siège de l’employeur. Il peut se trouver là où l’employeur n’a aucun établissement, ni aucune installation fixe. Il peut également, dans certaines situations, être au domicile de l’employé. Il est bon de garder cela à l’esprit dans la mesure où les accords sur le télétravail sont de plus en plus fréquents et dans la mesure où le siège de l’employeur et le lieu où l’employé exerce habituellement son activité sont souvent dans des villes différentes, mais également dans des cantons différents, voire même dans des pays différents.

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