Droit du travail

Le télétravail des employés frontaliers fait à nouveau parler de lui

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Le télétravail des employés frontaliers est à nouveau au cœur de l’actualité. Les titres suivants ont notamment pu être lus dans la presse « Le télétravail des frontaliers pourrait jouer un sale tour aux employeurs » ou « Télétravail frontalier : l’accord ou l’impasse » (www.24heures.ch). De plus, un « guide télétravail transfrontalier » vient d’être publié par la FER et les organisations économiques romandes.


De plus en plus d’employés de sociétés suisses du secteur tertiaire pratiquent le « home-office » ou télétravail, soit travaillent depuis leur domicile quelques jours par semaine ou par mois. La pandémie Covid-19 n’a fait que renforcer et accroitre cette pratique. Le télétravail était même obligatoire jusqu’à la semaine passée selon l’Ordonnance COVID-19 situation particulière « lorsque la nature de l’activité le rend possible et réalisable sans efforts disproportionnés ».(https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2021/379/fr). Depuis le 3 février 2022, le télétravail est à nouveau « uniquement » recommandé.


Beaucoup d’entreprises suisses qui emploient des travailleurs frontaliers sont aujourd’hui conscientes qu’une problématique d’assurances sociales et d’assujettissement aux assurances sociales françaises (mais la même problématique existe pour les autres pays limitrophes) se pose. La « règle » des 25% semble aujourd’hui connue de la plupart des employeurs suisses.


Pour rappel et en résumé, si l’activité déployée depuis son domicile en France dépasse le 25% de son temps de travail ou de sa rémunération, l’employé sera soumis aux assurances sociales françaises et non aux assurances sociales suisses. Ainsi, si un employeur suisse veut éviter un assujettissement aux assurances sociales françaises, il doit impérativement limiter le télétravail de ses employés domiciliés en France à moins de 25% de leur temps de travail ou de leur rémunération.


Un régime d’exception à cette « règle » des 25% (ou plutôt un assouplissement) a été mis en place dans le contexte de la pandémie Covid-19. En effet, dans ce contexte particulier et exceptionnel, un accord amiable est intervenu entre la Suisse et la France (comme c’est également le cas d’autres pays limitrophes) pour une application flexible des règles d’assujettissement aux assurances sociales. Avec la France, cette application flexible est prévue au moins jusqu’au 31 mars 2022.


Cette application flexible signifie qu’un employé est considéré comme travaillant en Suisse même s’il ne peut pas physiquement exercer son activité sur le territoire suisse en raison de la pandémie et « cela concerne en particulier les travailleurs frontaliers en télétravail » ( https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/int/donnees-de-base-et-conventions/int-corona.html).


Ce que peu d’entreprises suisses qui emploient des travailleurs frontaliers savent, c’est que le télétravail de ces employés à leur domicile en France peut avoir des incidences importantes en matière fiscale. La « règle » des 25% ne s’applique pas en matière fiscale et, pour compliquer encore plus les choses, des règles différentes s’appliquent en fonction du canton dans lequel l’employeur suisse a son établissement.


Comme en matière d’assurances sociales, un accord amiable a été conclu entre la Suisse et la France dans le contexte de la pandémie Covid-19 en mai 2020. Cet accord a été prolongé à plusieurs reprises. Il est actuellement en vigueur jusqu’au 31 mars 2022. Il pourra ensuite être prolongé par tacite reconduction jusqu’au 30 juin 2022, sauf dénonciation faite par l’un ou l’autre des Etats au moins une semaine avant le 31 mars 2022.


Selon cet accord et en résumé, jusqu’au 31 mars 2022 (voir jusqu’au 30 juin 2022), le télétravail des employés frontaliers en raison de la pandémie n’a pas d’impact sur la pratique des employeurs en matière de fiscalité et s’agissant de l’imposition de leurs employés frontaliers.


En d’autres termes, si l’imposition à la source est pratiquée (et c’est le cas notamment dans le canton de Genève), pendant la période de pandémie et jusqu’à la fin de l’accord, l’intégralité de l’activité est considérée comme étant exécutée en Suisse et est donc imposée à la source. Toujours en d’autres termes, tous les jours télétravaillés en France sont imposés à la source dans le canton de Genève.


Lorsque l’accord ne sera plus en vigueur et cela risque d’arriver à la fin du mois de mars, deux situations pourront se présenter en Suisse en fonction du lieu d’établissement de l’employeur suisse.


En effet, certains cantons (et c’est notamment le cas du canton de Vaud ou du canton de Neuchâtel) ont conclu un accord international avec la France. D’autres cantons (et c’est notamment le cas du canton de Genève) n’ont pas conclu un tel accord.


Le canton de Vaud fait en effet partie des 8 cantons suisses ayant conclu un accord fiscal frontalier franco-suisse. Selon cet accord, l’employé frontalier qui travaille en Suisse est imposé intégralement en France, soit à son lieu de résidence.


Il n’y a donc pas d’imposition à la source si l’employé frontalier a présenté à son employeur suisse établi dans le canton de Vaud l’attestation 2041-AS, soit une attestation de domicile. Ainsi, dans cette situation, le fait que l’employé effectue du télétravail à son domicile en France, que ce soit pendant la pandémie ou non, n’a aucune incidence en matière fiscale du point de vue français. Il convient cependant de garder à l’esprit que, dans le canton de Vaud notamment, un employé peut perdre le statut de frontalier au niveau fiscal s’il travaille plus d’un jour par semaine à son domicile en France (soit plus de 20%).


Le canton de Genève (et c’est également le cas du canton de Fribourg) n’est pas parti à cet accord international avec la France.


Dans ce canton, c’est le système de l’imposition à la source qui s’applique. Ainsi, l’employeur suisse prélève un impôt à la source pour tous ses employés frontaliers.


Comme mentionné ci-dessus, pendant la période de pandémie et jusqu’à la fin de l’accord amiable qui a été conclu entre la Suisse et la France, même en cas de télétravail au domicile en France pendant cette période, l’intégralité de l’activité est considérée comme étant exécutée en Suisse et est donc imposée à la source.


Avec la fin de l’accord amiable, cela ne sera plus le cas.


En cas de télétravail en France se poursuivant au-delà du 31 mars 2022 (voire du 30 juin 2022 si l’accord amiable est reconduit), l’imposition devra se faire, selon le droit français, en fonction du lieu de travail.


En d’autres termes, l’employé frontalier sera imposé à la source pour son activité effectuée à Genève pour son employeur suisse mais il sera imposé en France pour son activité pour le même employeur en télétravail à son domicile en France


Cette imposition en France se fera dès le premier jour de travail en France et elle se fera quel que soit le nombre de jours en télétravail. En d’autres termes, l’imposition se fait en France même pour un jour de télétravail et la « règle » des 25% qui concernent les assurances sociales ne s’applique pas.


L’employeur suisse sera donc contraint de tenir un registre des jours pendant lesquels l’employé frontalier travaille en Suisse et des jours pendant lesquels il travaille en télétravail à son domicile en France. Il devra ensuite diminuer la base imposable à la source de la part qui concerne le télétravail.


Plus contraignant encore, le droit français imposerait à l’employeur suisse, qui a des employés en télétravail en France, de nommer un représentant fiscal en France. Non seulement cela est très contraignant mais en plus, en l’état actuel du droit suisse, cela est incompatible avec celui-ci et constitue même l’infraction pénale réprimée en Suisse « d’actes exécutés sans droit pour un État étranger » (article 271 CP).


Des discussions sont actuellement en cours entre la Suisse et la France mais rien n’est décidé à ce jour.


Sans vouloir être alarmiste, la plus grande prudence est de mise en matière de télétravail des employés frontaliers pour la période « post-Covid » et ce peut-être déjà à partir du 31 mars 2022. Les employeurs suisses qui emploient des employés frontaliers seraient bien avisés de se renseigner et de demander conseil avant de décider par exemple de pérenniser le télétravail pour tous les employés et ce même pour seulement un jour par semaine.

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