Droit du travail

La lettre de licenciement et la lettre expliquant les motifs du licenciement, peuvent-elles être un faux dans les titres ?

OIP

Un arrêt du Tribunal fédéral du 26 novembre 2024 (ATF 6B_1315/2023, 6B_1318/2023) concernant une affaire un peu « anecdotique » et concernant la fonction publique est l’occasion de faire un bref rappel sur la lettre de licenciement et la lettre expliquant les motifs du licenciement et surtout de répondre à la question suivante : Ces lettres peuvent-elles être un faux dans les titres au sens du Code pénal suisse ? Heureusement, la réponse est non !


Selon le droit suisse, un contrat de travail n’a pas besoin d’être écrit. En d’autres termes, un contrat de travail peut être conclu par oral ou par acte concluant ou en la forme écrite, cette dernière forme étant bien entendu la plus prudente. Cette règle s’applique également au licenciement d’un employé ou à la démission de celui-ci. La résiliation du contrat de travail – comme sa conclusion – n’est donc soumise à aucune forme et peut intervenir par oral, par acte concluant ou, bien entendu, par écrit.


Dans la mesure où la résiliation ordinaire du contrat de travail doit se faire en respectant un délai de congé (dont la durée sera fonction de l’ancienneté de l’employé et/ou des dispositions du contrat de travail), pour une question de preuve de la réception et donc du point de départ du délai de congé, il est évidemment conseillé de procéder à la résiliation d’un contrat de travail par écrit. Très souvent, cela se fait par lettre recommandée avec accusé de réception. Si un entretien avec l’employé est prévu pour l’informer de la résiliation du contrat, il est également conseillé de confirmer cette résiliation par écrit en lui faisant signer la lettre de licenciement lors de l’entretien ou en lui envoyant une lettre après l’entretien.


La résiliation du contrat doit être donnée par la partie elle-même ou par un représentant de la partie. Si l’employeur est une société, en principe, le congé est donné par un représentant de la personne morale inscrit au registre du commerce. Le pouvoir de résilier les contrats de travail des employés peut également être donné à un fondé de procuration ou à une personne habilitée à représenter l’employeur. Cela est souvent un responsable RH.


Selon l’article 335 alinéa 1 CO, « le contrat de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties ». Selon l’article 335 alinéa 2 CO, « la partie qui donne le congé doit motiver sa décision par écrit si l’autre partie le demande ». L’alinéa 2 signifie a contrario que la résiliation du contrat de travail n’a pas besoin d’être motivée. Ainsi, la lettre de résiliation du contrat de travail n’a pas besoin d’indiquer les motifs et les raisons du licenciement de l’employé. C’est uniquement si l’employé le demande que les motifs de la résiliation doivent lui être communiqués par écrit. Cela s’applique également en cas de démission de l’employé.


En d’autres termes, il est fréquent – et parfaitement légal – que, dans un premier temps, un employeur indique uniquement, dans la lettre de licenciement, que l’employé est licencié et indique la date de fin des rapports de travail. Dans un second temps – et pour autant que l’employé le demande -, l’employeur communique les motifs du licenciement par écrit.


Ces motifs doivent correspondre aux réels motifs du congé. En fonction des motifs indiqués dans la lettre, ceux-ci peuvent être considérés comme abusifs au sens des articles 336, 336a et 336b CO et donner droit à l’employé à une indemnité pour licenciement abusif. Le licenciement peut également être abusif si l’employé arrive à démontrer que le motif du licenciement invoqué par l’employeur n’est pas le réel motif et que le réel motif est lui abusif.


Le but du présent article n’est pas d’expliquer les conditions d’application des articles 336, 336a et 336b CO et les cas dans lesquels le licenciement est considéré comme abusif, car le sujet est large. Le but est de se poser les questions suivantes au vu de l’arrêt susmentionné du Tribunal fédéral du 26 novembre 2024 :


  • Est-ce que la lettre de licenciement et la lettre expliquant les motifs du licenciement peuvent être considérées comme des faux dans les titres au sens du Code pénal suisse ?
  • Et donc est-ce que ceux qui signent de telles lettres peuvent être condamnés pénalement si les motifs du licenciement indiqués par écrit sont faux ?


L’affaire examinée par le Tribunal fédéral concerne la fonction publique et était en résumé la suivante :


Par courrier du 25 février 2016, une commune valaisanne a informé son employé, C, de la résiliation de son contrat de travail avec effet au 30 avril 2016. L’employé était agent de commerce du service « sécurité civile ». La lettre de licenciement mentionnait que la décision avait été prise en séance du conseil communal le 22 février 2016. Le motif de licenciement n’était pas indiqué dans la lettre. La lettre de licenciement était signée par D, sur ordre de A, secrétaire communal, et par B, conseiller municipal et président.


Le 15 avril 2016, l’employé C a formé opposition à son congé et a demandé à la commune les motifs de son licenciement. Le président en a informé le conseil municipal le 19 avril 2016. Par courrier du 4 mai 2016, signé par B et A, la commune a répondu à l’employé que le congé était dû à une réorganisation interne de l’administration, ayant entraîné la suppression du poste d’agent de commerce du service « sécurité civile ».


L’employé a déposé plainte pénale contre A et B et contre inconnu pour abus d’autorité, atteinte à ses intérêts pécuniaires, corruption et faux dans les titres. L’employé reprochait notamment à A et B d’avoir menti quant aux véritables motifs de son licenciement et quant à la date à laquelle la décision de résilier les rapports de travail avait été prise.


A a été condamné, en première instance puis en seconde instance, pour faux commis dans l’exercice de fonctions publiques. B a été condamné, en première instance puis en seconde instance, pour faux dans les titres.


Ils ont tous les deux recouru devant le Tribunal fédéral qui a admis leur recours.


Dans la mesure où l’affaire concernait la fonction publique, le Tribunal fédéral a relevé que la résiliation devait intervenir par la voie de la décision administrative. Ce point ne sera pas développé dans le présent article et n’a pas non plus été développé par le Tribunal fédéral dans l’arrêt.


Le Tribunal fédéral s’est par contre demandé « si les lettres de licenciement et de motivation d’un employeur constituent des titres ou non et si ceux-ci peuvent être constitutifs d’un faux dans les titres, respectivement d’un faux dans les titres commis dans l’exercice de fonctions publiques. »


Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a constaté que A et B n’avaient pas « fabriqué de titre faux ni falsifié un titre par apposition d’une fausse signature ou la modification d’un titre établi par un tiers, de sorte que l’on ne se trouve pas en présence d’un faux matériel. Le contenu de la lettre du 25 février 2016, qui indiquait une date erronée, était toutefois mensonger dans la mesure où il indiquait la date du 22 février 2016, alors que le conseil communal avait pris la décision de licenciement le 10 novembre 2015 et celui de la lettre du 4 mai 2016 également dans la mesure où il taisait le véritable motif du congé ».


Pour le Tribunal fédéral, il s’agit donc de « déterminer si les lettres litigieuses avaient une capacité accrue de convaincre, justifiant de les considérer comme des faux intellectuels »


A ce sujet, le Tribunal fédéral rappelle que, « conformément à la jurisprudence, une lettre de licenciement dont le contenu est faux ne constitue en principe pas un titre, faute de valeur probante accrue (arrêt 6S.618/2002 du 18 juin 2002 consid. 6). La lettre de motivation, qui s’inscrit dans le contexte du licenciement, n’a pas de portée distincte et ne saurait non plus valoir titre. En l’espèce, on ne voit pas quelles assurances objectives – découlant de la loi ou des usages commerciaux – auraient garanti aux tiers la véracité du contenu d’une lettre de résiliation, ce d’autant plus qu’une résiliation (cf. art. 335 al. 1 CO) n’est soumise à aucune forme particulière sauf disposition contractuelle contraire et n’a pas besoin de reposer sur un motif particulier conformément au principe de la liberté de la résiliation (ATF 136 III 513 consid. 2.3) ».


Le Tribunal fédéral confirme donc, dans cet arrêt – et cela est plutôt rassurant -, qu’une lettre de licenciement et également la lettre expliquant les motifs du licenciement ne constituent pas un titre au sens du Code pénal car ces lettres n’ont pas une valeur probante accrue.


Ainsi, si l’employé licencié considère que le contenu de ces lettres est faux, soit s’il considère par exemple que le motif du licenciement, qui est mentionné dans la lettre, n’est pas le réel motif du licenciement et que le réel motif est abusif, ce n’est pas par le biais d’une plainte pénale qu’il doit agir mais bien par les voies que le Code des obligations, notamment les articles 336, 336a et 336b CO, lui met à disposition.


Pour l’auteure soussignée, même si l’affaire traitée par le Tribunal fédéral est peut-être un cas isolé et est peut-être « anecdotique », la position du Tribunal fédéral, qui confirme la précédente jurisprudence, est rassurante !

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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