Si l’enjeu sportif des événements majeurs est important, leur enjeu financier l’est tout autant. Non sans raison, les sponsors de l’événement, qui payent le prix fort pour bénéficier d’une forme d’exclusivité dans leur domaine, voient d’un mauvais œil leurs concurrents s’efforcer de surfer sur la vague sans bourse déliée.
Pas question dès lors pour les organisateurs de laisser quelque parasite que ce soit surfer sur la vague de l’événement sans être passé à la caisse. Véritable garde-fou pour assurer le chiffre d’affaires résultant de tels événements, la marque revêt alors un rôle crucial. La Coupe du Monde de football à venir ne fait pas exception.
Protéger ces événements comme marques n’est toutefois pas chose aisée. Ainsi l’Institut fédéral a-t-il beau jeu de rappeler dans les refus provisoires qu’il émet en relation avec le dépôt de marques que, par exemple, des dénominations comme « Qatar 2022 » ou « World Cup 2022 » revêtent un caractère descriptif et que, à ce titre, elles ne sauraient être monopolisées, puisque rien n’exclut que d’autres événements soient organisés au Qatar en 2022 ou qu’une autre coupe du monde soit organisée en 2022 en d’autres sports. Admettre de tels enregistrements reviendrait donc à accorder un monopole sur l’utilisation de termes susceptibles de devoir être légitimement utilisés par d’autres entités. Pour contourner l’obstacle, les organisateurs ont alors trouvé des subterfuges, dont l’un des plus courants consiste à rajouter à la dénomination un élément figuratif, dans le domaine du football le ballon, une pratique également utilisée par l’UEFA comme en témoigne, par exemple, l’enregistrement suivant :
Recourant à ce procédé en vue de la Coupe du Monde à venir, la FIFA a procédé à l’enregistrement de deux marques suisses, à savoir :
Comme il en va bien souvent en relation avec les événements sportifs, ces marques ont été déposées pour une vaste gamme de produits et services, luttant ainsi contre toute forme prédatrice de merchandising ou d’ambush-marketing.
Ce faisant, l’obstacle susmentionné lié au possible caractère descriptif de la marque verbale, et donc de son refus de la voir enregistrée comme marque, semble être contourné. Ce faisant, les organisateurs bénéficient en réalité d’une large protection, puisque la marque n’est pas protégée uniquement contre le recours à un signe identique, mais aussi similaire. Autrement dit, la simple disparition du ballon rond ne suffit pas à exclure la similarité qui résulterait pour un tiers de la reprise des éléments « Qatar 2022 » ou « World Cup 2022 » dès lors que ces éléments verbaux sont, au final, prédominants dans l’impression d’ensemble qui résulte desdits signes.
C’est en tous les cas ce qu’a dû penser la FIFA lorsqu’elle s’est lancée dans une bataille en justice contre la fameuse marque de sport PUMA, laquelle avait sans doute espérer échapper aux fourches caudines de la FIFA en enregistrant « PUMA WORLD CUP QATAR 2022 » et « PUMA WORLD CUP 2022 ». On aurait il est vrai certes pu penser que le risque de confusion résultant de la reprise quasi à l’identique des marques de la FIFA précitées était écarté par la présence de la marque PUMA dotée d’une forte réputation.
Tel n’a toutefois pas été l’avis du Tribunal fédéral, qui, dans un arrêt rendu le 6 avril 2022 et publié le 20 avril 2022 (destiné à la publication), a jugé de l’affaire au regard de l’art. 2 lit. c LPM, autrement dit en se demandant si les marques déposées par PUMA revêtaient un caractère trompeur (et non pas si elles prêtaient à confusion avec les marques précitées de la FIFA).
Or, à cet égard, notre Haute Cour répond par l’affirmative et considère que les marques précitées revêtent bien un caractère trompeur. Au vu de la notoriété de l’événement, la référence à « WORLD CUP 2022 » laisse immédiatement penser à la Coupe du Monde de football, indépendamment de la question de savoir s’il pourrait y avoir au Qatar une autre coupe du monde en 2022. L’apposition de la marque « PUMA » au côté de la dénomination de l’événement laisse penser que PUMA serait un sponsor officiel de l’événement, ce qui n’est pas le cas. La mise en rapport de ces deux termes laisserait donc croire à tort à un rapport d’affiliation officiel entre PUMA et la FIFA, ce qui n’est pas le cas ; partant, ces deux marques revêtent un caractère trompeur.
PUMA s’était certes efforcé de faire valoir le fait que les sponsors officiels ne manquent pas de faire état de leur caractère officiel de sponsor pour pouvoir vendre leurs produits à un prix plus élevé, ou d’apposer la mention « FIFA », de sorte que l’absence de toute mention à cet égard témoignerait a contrario du fait que l’entité en question n’est pas un sponsor officiel.
Le Tribunal fédéral n’a toutefois pas été convaincu par cet argument, motif étant tiré du fait que seule importe la manière dont les marques sont enregistrées, indépendamment de leur utilisation, étant de surcroît précisé que l’adjonction de ces éléments ne permet pas d’exclure tout risque de tromperie.
Partant, ordre a été donné à l’Institut de procéder à la radiation de ces marques, notamment en ce qu’elles avaient trait aux produits vestimentaires.
Jusque-là, les choses se passaient donc pour le mieux pour la FIFA. Elles se sont toutefois gâtées lors de l’examen de la conclusion reconventionnelle prise par PUMA, qui avait conclu à la nullité des marques QATAR 2022 et WORLD CUP 2022 représentées ci-dessus.
Remettant en cause la pratique de l’Institut, le Tribunal fédéral a en effet admis cette conclusion reconventionnelle et conclut à la nullité de ces marques, en ordonnant la radiation. Cette fois-ci, c’est toutefois sous l’angle de l’art. 2 lit. a LPM et de l’appartenance au domaine public que la question de la validité desdites marques a été appréciée.
Pour le Tribunal fédéral, le public associe les dénominations verbales QATAR 2022 ou WORLD CUP 2022 a un événement en tant que tel, sans penser à quelque organisateur que ce soit. L’adjonction d’un élément graphique comme un ballon n’y change rien, au contraire, puisqu’il renvoie directement au sport concerné par la manifestation en question. Ce caractère descriptif n’a pas seulement trait à l’événement sportif, mais également en relation avec les produits de merchandising, pour lesquels les acheteurs concernés ne s’attendent à aucune provenance en particulier.
La question de savoir dans quelle mesure ces dénominations auraient pu revêtir le caractère de marque imposée a été laissée ouverte par le Tribunal fédéral. Il n’en a pas moins laissé entendre que, s’agissant d’un événement qui n’a pas encore eu lieu, le caractère imposé paraissait douteux.
Partant, le Tribunal fédéral en a conclu que les marques susmentionnées étaient nulles au regard de l’art. 2 lit. a LPM, et en a ordonné la radiation.
Au final, le Tribunal fédéral remet ainsi en cause une pratique tolérée depuis plusieurs années par l’Institut, consistant à adjoindre à la dénomination verbale de l’événement sportif un élément graphique censé exclure l’application de l’art. 2 lit. a LPM.
De prime abord, l’appréciation du Tribunal fédéral suivant laquelle la seule adjonction d’un élément graphique comme un ballon renvoyant directement au sport concerné par la manifestation sportive ne permet pas d’exclure le caractère descriptif de la marque est convaincant.
Pourtant, l’arrêt n’en laisse pas moins un sentiment de malaise. Pourquoi ?
Indépendamment des critiques que cet arrêt peut susciter, force est d’admettre qu’il remet profondément en cause la pratique actuelle. Est-ce à dire que, faute de marque, les organisateurs en seront quitte à faire un usage accru en Suisse de la loi fédérale contre la concurrence déloyale contre d’éventuels prédateurs ? On peut le penser, sauf pour l’organisateur à démontrer le caractère imposé de sa marque, un chemin couteux que les organisateurs pourraient bien devoir emprunter à l’avenir ensuite de cet arrêt.
Nul doute que cet arrêt suscitera de nombreuses discussions au sein des organisations sportives et de leurs agents pour mettre sur pied de nouvelles stratégies de protection. Se lancer dans nos réflexions personnelles en ce qui a trait à ses stratégies possibles dépasseraient toutefois le cadre de cette modeste contribution. Affaire à suivre…
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