La justification économique des brevets est connue. Sans l’octroi de cette forme de monopole durant un certain temps, 20 ans à compter de leur délivrance pour être précis, les sociétés n’auraient aucun intérêt nous dit-on à investir massivement dans leur département de recherche et développement.
Si cette argumentation apparaît fondée en certaines industries comme l’industrie pharmaceutique, elle est en revanche discutée en d’autres domaines, comme celui des logiciels ou de la technologie, au point de conduire certains à douter du bien-fondé de l’approche uniforme consacrée par le droit des brevets, né à l’aube de la révolution industrielle à une époque où les savoirs n’étaient pas aussi diversifiés qu’ils ne le sont aujourd’hui.
L’octroi des brevets dans le domaine IT n’est en effet pas sans poser problème à une époque où l’interopérabilité entre les systèmes devient un élément central dans la société toujours plus numérisée dans laquelle nous vivons. Que l’on pense au domaine des télécommunications ou celui de l’internet des objets, leur bon fonctionnement présuppose l’adoption de standards permettant à ces différents appareils de communiquer entre eux.
Or, si les standards ont pour objectif de permettre l’adoption rapide des technologies et l’interopérabilité entre les systèmes, l’octroi de brevets, loin d’encourager l’innovation, apparaît alors comme un frein potentiel en la matière.
C’est ici qu’intervient la notion de brevets essentiels. De nombreux standards ayant permis le bon déploiement de la 4G, de la 5G ou des réseaux WiFi reposent en effet sur des milliers de brevets. On imagine sans peine que s’il fallait systématiquement négocier l’octroi d’une licence avec chaque titulaire de brevets impliqués dans la mise sur pied d’un tel standard, leur adoption relèverait du domaine de l’illusion et entraverait considérablement l’adoption massive des technologies dans le domaine des télécommunications en particulier.
Pour pallier à ce problème, certaines organisations recensent les brevets considérés comme étant essentiels pour l’adoption de ces standards, d’où le nom de « standards essential patents ». Ces brevets, s’ils sont effectivement jugés essentiels, doivent alors être donné en licence à des conditions dites « FRAND » (Fair, Reasonable and Non-Discriminatory).
Si le principe est posé, encore faut-il savoir comment l’appliquer, c’est là toute la difficulté. Or, les affaires en la matière sont rares. Dans la seule affaire rendue à ce jour par la Cour de Justice de l’Union Européenne en la matière, C-170/13 Huawei Technologies Co. Ltd v. ZTE Corp., du 16 juillet 2015, la CJUE a jugé que le titulaire d’un brevet essentiel à une norme établie par un organisme de normalisation n’abuse pas de sa position dominante s’il agit en violation de son brevet, dès lors que :
S’il apparaît dès lors clair que le titulaire d’un brevet essentiel n’est pas pour autant dépourvu de la possibilité d’ouvrir action en violation de son brevet, de nombreuses questions demeurent sources d’insécurité : comment apprécier la question de savoir si son brevet revêt un caractère essentiel si cette qualification est susceptible d’être remise en cause ? A quelles conditions le titulaire est-il censé satisfaire aux conditions FRAND lors de l’octroi d’une licence ?
Conscient du rôle croissant joué par ces brevets mais aussi des très nombreuses incertitudes qui planent sur leur caractère essentiel et les conditions d’octroi des licences FRAND, la Commission européenne a mis sur pied un groupe de travail en la matière qui a livré au mois de janvier 2021 un important rapport en la matière, destiné à servir de base de travail à la Commission européenne.
Gageons que les brevets essentiels seront appelés à jouer un rôle croissant dans les années à venir, et que la connaissance des conditions posées à leur octroi et des termes à négocier présenteront assurément une valeur ajoutée. Si les litiges en la matière seront certainement amenés à augmenter, offrant aux tribunaux la possibilité de se pencher sur ces questions et affiner une jurisprudence encore bien lacunaire, on ne peut qu’espérer que les travaux de la Commission permettront d’assurer une meilleure transparence en un domaine où tel est l’objectif, encore loin d’être atteint.
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