Droit des sociétés

Une société plus du tout anonyme

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1.     Introduction


La société anonyme ne sera bientôt plus du tout anonyme. Sous les coups de boutoirs des grandes puissances économiques, prêtes à tout pour forcer les autres à combler leurs déficits budgétaires abyssaux, les concepts d’anonymat et de secret ne seront bientôt plus que lettres mortes.


Dans les tuyaux de l’administration fédérale suisse se concocte le dernier acte de la fin de l’anonymat des titulaires de parts sociales d’une société de capitaux de droit suisse et de leurs ayants droit économiques : la loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (LTPM)[1].


2.     L’objet de cette nouvelle loi :


Aux termes de cette nouvelle loi, les personnes morales de droit suisse, soit les SA non cotées en bourse, les Sàrl, les Scoop, les SICAV et les SICAF, les associations et les fondations et encore les trustees dont le siège est en Suisse ou qui administrent  des trusts étrangers depuis la Suisse devront procéder à (i) l’identification, (ii) la mise à jour, (iii) la conservation pendant au moins dix ans et (iv) à la transmission éventuelle des données relatives aux ayants droits économiques de leurs entités.


Les personnes physiques qui sont considérées par la LTPM comme des ayants droit économiques devront en outre s’annoncer à la personne morale qu’ils sont ainsi réputés « contrôler en dernier lieu » et cela dès qu’ils répondent aux critères posés par la nouvelle loi.


Les administrateurs, gérants, actionnaires ou associés qui agissent à titre fiduciaire devront annoncer non seulement à la personne morale concernée, mais également au registre du commerce du siège social de celle-ci, le nom et la raison sociale des personnes pour le compte desquelles elles agissent.


3.     La notion d’ayant droit économique :


Il s’agit de tous détenteurs de parts des entités précitées qui contrôlent en dernier lieu ces entités.


Selon le projet de loi, sont réputés détenir un tel contrôle, les personnes physiques qui détiennent, directement ou indirectement, une participation d’au moins 25 % du capital ou des voix ou qui exercent sur ces entités « un contrôle par d’autres moyens ».


4.     Les données à collecter :


Il s’agit (i) du nom et prénom, (ii) de la date de naissance, (iii) de l’adresse complète et du pays de résidence, (iv) de la nationalité et (v) de toute autre information nécessaires « sur la nature et l’étendue du contrôle exercé », soit à tout le moins des données personnelles selon la loi fédérale sur la protection des données (LPD).

Relevons que la LPD ne s’applique pas aux données récoltées en exécution de la loi nouvelle loi fédérale sur la transparence des personnes morales. L’autorité de contrôle est même expressément autorisée à faire du profilage pour accomplir ses tâches.


5.     La transmission des données collectées au Registre officiel :


La LTPM institue un Registre officiel central des ayants droit économiques. Ce registre sera tenu en la forme électronique par le DFJP – le Département Fédéral de Justice et Police.


Le DFF – le Département Fédéral des Finances est l’autorité de contrôle de la bonne et fidèle exécution de la nouvelle loi et des actions du Registre officiel.


Les personnes morales susmentionnées soumises à la loi sont tenues d’annoncer au Registre officiel la liste et les données relatives à leurs ayants droit économiques ainsi que tout changement dans leur état. Les annonces doivent avoir lieu électroniquement. Elles sont gratuites. Il s’agit d’une obligation du conseil d’administration ou de l’organe suprême de la personne morale concernée. Celui-ci peut la déléguer mais il demeure responsable en dernier ressort de sa bonne exécution.


Par la mise en place de ce Registre officiel central, il est clair que le but de cette nouvelle loi n’est pas d’assurer la transparence des personnes morales de droit suisse, mais bien, comme on le verra ci-après, la transmission des données transmises à d’autres autorités suisses et étrangères.


6.     Le sort des données transmises au Registre officiel :


C’est le cœur de la future LTPM.


Les autorités suivantes auront accès en ligne aux données du Registre officiel :


  • Le DFF en tant qu’autorité de contrôle ;
  • Les autorités pénales cantonales et fédérales,
  • Le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS),
  • Les autorités administratives de surveillance en matière de LBA,
  • Les autorités compétentes en matière d’assistance administrative fiscale,
  • Les autorités fiscales fédérales, cantonales ou communales dans l’exécution de leurs tâches en matière fiscales,
  • Les autorités de surveillance dans l’exécution des embargos décidés par les Ordonnances fédérales en application de la loi fédérale du 22 mars sur les embargos,
  • Le Service de renseignements de la Confédération,
  • Sans oublier l’Office fédéral de la statistique.


D’autres autorités auront accès sur demande écrite aux données du Registre fédéral. Au nombre de ces autorités, énumérées par la nouvelle loi, on compte :


  • Les offices du Registre foncier,
  • Les autorités d’exécution de la LFAIE,
  • Le SECO dans l’exécution des tâches prévues par la loi fédérale sur l’examen des investissements étrangers,
  • Les adjudicateurs de la Confédération, des cantons et des communes en application de la législation sur les marchés publics, et
  • Les autorités administratives de la Confédération, des cantons ou des communes dans l’examen et le versement des aides financières ou des indemnités.


L’autorité qui tient le Registre officiel, l’autorité de contrôle de ce registre ainsi que les autorités des registres du commerce collaborent en vue de la bonne exécution de cette nouvelle loi.


Mais surtout, l’autorité de contrôle peut, certes à certaines conditions de façade prévues par la nouvelle loi, communiquer à des autorités étrangères exerçant des fonctions équivalentes des données non accessibles au public et des données personnelles, y compris relatives à des poursuites ou à des sanctions administratives ou pénales et des données sensibles relatives à des personnes morales.


Gageons que l’autorité de contrôle ne se privera pas d’exercer cette prérogative.



7.     Conclusion :


Le but de cette loi est toutefois clair : transmettre servilement à toute autorité qui en ferait la demande, les données ainsi consciencieusement récoltées.  Ainsi, en quelques années, toute la législation suisse protégeant la sphère privée en droit des affaires aura volé en éclats. Pour plaire aux gremiums sans légitimité démocratique de la nouvelle finance mondiale, la personne morale de droit suisse est passée de la garantie de son anonymat et du secret de ses affaires à la plus totale transparence. Cette évolution ne choque toutefois plus personne. Nous ne partageons pas cette indifférence. On s’étonnera tout d’abord de la non application de la LPD aux données ainsi récoltées et à leur transmission tous azimuts en Suisse et à l’étranger notamment. On regrettera également la contrainte supplémentaire que la conformité à cette nouvelle loi fera peser sur toutes les PME de notre pays. On déplorera ensuite l’appareil administratif supplémentaire que cette loi contribuera à instituer alourdissant d’autant le budget de nos collectivités. Il n’en demeure pas moins que, peu à peu, inexorablement, une charge administrative de moins en moins supportable alourdit et englue nos PME. Il convient de le réaliser et de le dénoncer à défaut de pouvoir s’y opposer.





[1] Cf. le projet du Conseil fédérale du 10.12.2022 https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/82296.pdf

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